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Au fil des questions au programme d'histoire-géographie des classes de lycée. Des commentaires, exercices, rappels, ...

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mardi 10 septembre 2013

France 1944 : l'épuration à la Libération





  • Une brève vidéo, qui évoque l' épuration "sauvage" menée à la Libération, portée par une soif de justice - contre les miliciens, les collaborateurs, ceux qui ont profité de l'Occupation, ceux qui ont trahi... - mais qui se traduit par des exécutions sommaires et des comportements collectifs pour le moins dérangeants.
  • Une épuration sauvage qui ne se traduit pas de la même façon selon le sexe, puisque les femmes sont - en plus, et avant toute mesure prise contre elles - tondues. 
  • La vidéo évoque le nécessaire passage à une épuration judiciaire, encadrée, dont l'instrument essentiel est la cour de justice. 
Bilan chiffré de l'épuration judiciaire : 



Pour en savoir plus sur les femmes tondues :  

http://lhistgeobox.blogspot.fr/2011/05/brassens-la-tondue-1964.html


samedi 12 mai 2012

La guerre d'anéantissement à l'Est, 1941


Un sujet de type bac, nouveau programme 1ère S.

Sujet : la guerre d’anéantissement sur le front de l’Est
Consigne : Après avoir présenté les deux documents ( vous serez particulièrement attentifs au contexte), montrez que la guerre de l’Allemagne nazie contre l’URSS relève d’une guerre d’anéantissement. Vous soulignerez les dimensions idéologiques de ce conflit en confrontant ces deux documents.

Document 1. Directive aux armées allemandes pour la campagne en URSS
Dans le combat contre le bolchevisme, nous ne devons pas supposer que le comportement de l’ennemi s’appuiera sur les principes d’humanité ou du doit international. On peut s’attendre en particulier à un traitement des prisonniers de guerre inspiré par la haine, cruel et inhumain de la part des commissaires politiques1 de tous grades, qui sont les vrais chefs de la résistance.
Il faut attirer l’attention de toutes les unités sur ce qui suit :
-montrer de la considération pour ces éléments au cours de ce combat ou agir conformément aux règles internationales de la guerre est une erreur mettant en danger notre propre sécurité et la rapide pacification des territoires conquis ;
-les commissaires politiques ont inauguré de nouvelles méthodes de guerre asiatiques barbares. C’est la raison pour laquelle il faut les traiter tout de suite avec la plus grande sévérité. Par principe, ils seront abattus immédiatement, qu’ils aient été capturés au cours d’opérations ou qu’ils aient montré de la résistance.
(1) : Représentants du Parti communiste soviétique auprès de l’Armée Rouge
Préambule de l’Ordre concernant les commissaires, préparé par les services de la Wehrmacht et signé par le Maréchal Keitel, chef d’Etat major des armées allemandes, le 6 juin 1941.

Document 2 : Affiche de la Waffen SS ( 1941-1943).
La Waffen SS constitue la branche armée de la SS destinée à combattre aux côtés de l’armée régulière.
Affiche de la Waffen SS, Belgique, 1941-1943

Analyser deux documents, en suivant une consigne précise, fait partie des nouvelles épreuves du Bac pour les 1ère S. La première règle à suivre : respecter scrupuleusement la consigne ! Ici, le propos doit donc s'articuler en trois temps : une courte présentation des documents, qui doit servir la présentation du sujet ( la guerre à l'Est) ; ensuite la démonstration, en utilisant - et en confrontant- les deux documents, de ce que cette guerre menée par l'Allemagne est bien une guerre d'anéantissement ; enfin, dans un dernier temps, montrer les dimensions idéologiques du conflit. 

La présentation des documents doit insister sur quelques points
- deux documents de source allemande : le chef d'Etat major de l'armée, le maréchal Keitel, pour le premier, la Waffen SS pour le second, donc dans les deux cas des documents qui, bien que leur nature diffère ( un document écrit destiné strictement aux militaires de la Wehrmacht, un document iconographique destiné aux populations belges), émanent tous deux des instances militaires allemandes.
- deux documents qui se situent à des moments différents de la guerre à l'Est. Le premier précède la grande offensive qui sera lancée le 22 juin 1941 ( opération Barbarossa) contre l'URSS, en rupture du pacte germano-soviétique. Le second est, lui, postérieur à l'invasion du territoire soviétique. Non daté précisément, il relève de la tentative menée par la Waffen SS de recruter des jeunes hommes, dans tous les pays occupés par l'Allemagne, au nom de la lutte commune contre l'URSS et le communisme.

Le fait que la guerre menée à l'Est soit une guerre d'anéantissement apparaît avec force dans le premier document qui précède l'invasion. Ordre est donné aux militaires de livrer une guerre sans merci, en leur enjoignant de ne surtout pas agir "conformément aux règles internationales" ( référence aux conventions, de La Haye 1907, ou de Genève, 1929, qui invitent à un traitement humain de l'ennemi, et particulièrement des prisonniers de guerre). Le texte dédouane d'emblée toutes les exactions qui pourraient être commises. Il ordonne d'ailleurs que les commissaires politiques  - qui ne sont pas des combattants - soient "abattus immédiatement", quoi qu'ils aient fait ( "qu'ils aient été capturés au cours d'opération ou qu'ils aient montré de la résistance"). L'ordre sera entendu puisque ce sont les einsatzgruppen, qui accompagnent l'armée régulière, qui vont se livrer au massacre des membres du Parti communiste - en même temps qu'à celui des Juifs. La brutalité à laquelle invite le texte de Keitel trouvera aussi sa traduction dans les conditions effroyables qui seront faites aux prisonniers de guerre soviétiques. Près de 4 millions de prisonniers de guerre soviétiques sont morts pendant la Seconde guerre mondiale. Cette brutalité, cette volonté d'anéantissement sont au coeur du deuxième document qui présente clairement l'objectif du conflit : anéantir le "monstre" soviétique, lui faire rendre gorge. 
La brutalité du combat est justifiée dans le texte de Keitel par un argument d'ordre militaire (la "sécurité des troupes", la nécessaire "pacification" du pays conquis) ET par un argument idéologique. La brutalité attendue des soldats allemands est présentée comme une réponse préventive à l'inhumanité des soviétiques, posés comme "barbares". De fait, les partisans soviétiques mèneront, eux aussi, un combat sans merci, comme en témoigne la pratique de la terre brûlée. Mais, au moment où Keitel émet cet ordre, la vision proposée de l'ennemi n'est pas liée à l'expérience, mais à un système de représentations dans lequel la dépréciation de l'ennemi - "barbare", "cruel"... - est au service de la brutalité attendue des soldats. 




Cette vision de l'ennemi illustre les dimensions idéologiques du conflit. En effet, l'ennemi de l'Allemagne dans ce combat n'est pas un ennemi quelconque, c'est le communiste, celui qui sert le "bolchevisme" - le terme renvoyant explicitement à la Révolution russe et à ses dommages dans l'esprit des militaires allemands. La vision d'un ennemi "barbare" est liée au pouvoir des "commissaires politiques", qui "ont inauguré de nouvelles méthodes de guerre asiatiques barbares". L'étrangeté de l'ennemi est soulignée par la référence à l'Asie - qui renvoie aux steppes de l'Asie, aux huns, au peuple slave, un peuple de "sous-hommes" dans l'idéologie raciste allemande. L'affiche montre clairement l'enjeu du combat : que le nazisme - représenté ici par l'insigne SS - anéantisse le communisme - représenté par le dragon portant au cou l'étoile rouge frappée du marteau et de la faucille. Ce combat est d'autant plus vital, dans l'optique nazie, que bolchevisme et judaïsme sont étroitement liés. Le dragon qui sème la mort ( des ossements reposent à ses côtés ) porte conjointement l'étoile rouge ET l'étoile de David. Et si le terme de judéo-bolchevisme n'est pas utilisé dans les documents proposés, il est couramment utilisé dans les textes émanant d'Hitler comme des chefs de la Wehrmacht. C'est cette volonté de détruire un ennemi double qui explique aussi la brutalité sans égale de la guerre menée à l'Est. Les exécutions perpétrées par les einsatzgruppen ont provoqué la mort de plus de 1, 3 millions de Juifs selon les chiffres proposés par Raoul Hilberg. 

La mémoire de la Résistance dans les manuels scolaires (1)


Extrait d'un manuel scolaire de l’école primaire de 1956 sur la résistance.

« La Deuxième Guerre Mondiale. La Résistance.
En juin 1940, les Allemands font prisonnière presque toute l'armée française. Ils envahissent la France tout entière. La plus grande partie de la France reste ensuite occupée pendant quatre ans par les troupes ennemies. Le reste du pays est dirigé par un nouveau gouvernement établi à Vichy. Le gouvernement de Vichy collabore avec les Allemands, c'est-à-dire qu'il accepte de gouverner sous leur contrôle.
Un chef français, le général de Gaulle, a réussi à quitter la France et s'est installé à Londres en Angleterre. Il avertit par radio les Français : « La guerre, déclare-t-il, n'est pas finie. Continuez à combattre l'ennemi. » Des milliers de Français courageux organisent alors, en France même, la Résistance. Ils se réfugient dans le maquis, c'est-à-dire dans les forêts et dans les montagnes. Leurs petits groupes, mal équipés et mal armés, attaquent avec héroïsme les troupes et les convois allemands.
Résumé de la leçon : Les Français sont vaincus par les Allemands en 1940, au début de la Deuxième Guerre Mondiale. La France est occupée. Mais de Gaulle ordonne aux Français de continuer la guerre. Les résistants attaquent les convois allemands. »

Source : A. Bonifacio, P. Maréchal, Histoire de France, cours élémentaire et moyen, Hachette, 1956.

Questions :


1.  Que peut-on dire de la façon dont la Résistance française et le général de Gaulle sont présentés dans ce document ?
2.  Quels acteurs de cette période de l'histoire de France sont absents ou peu évoqués ?
3.  En quoi ce document est-il un outil au service de la construction  de la mémoire de la guerre ?
4. Quelles évolutions majeures cette vision de l'histoire de la France dans la guerre connaîtra-t-elle dans les décennies suivantes ?

Les manuels scolaires sont des outils pertinents pour étudier les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France, et particulièrement celles de la Résistance. Pourquoi? Parce qu'ils proposent une vision simplifiée des mémoires officielles, des mémoires dominantes, de celles dont le pouvoir en place entend qu'elles soient transmises aux générations qui n'ont pas connu la guerre. 
Ici est proposé à l'étude un extrait d'un manuel destiné aux plus jeunes ( école primaire) en 1956, soit pendant la IV République, un peu plus de 10 ans après la fin du conflit. De Gaulle n'est alors pas au pouvoir, mais la mémoire gaulliste de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance inspire très largement la représentation du conflit livrée aux enfants. 

( Question 1 ) Le texte se compose de deux paragraphes : le premier fait état de la défaite, de l'occupation du territoire et de l'existence d'un gouvernement qui fait le choix de la collaboration (le gouvernement de Vichy) ; le second, présenté comme une antithèse du premier, met en évidence le rôle de la Résistance et de De Gaulle. Le général de Gaulle est posé comme l'initiateur de la Résistance. Il est celui qui fait le choix de l'exil ( "il quitte la France") - et ce lorsque la solution de l'armistice est adoptée par le gouvernement, choix qui est présenté ici comme un choix courageux. Il est aussi celui qui "avertit (...) les Français" : le texte fait évidemment allusion à l'appel du 18 juin 1940, puis aux autres appels lancés depuis Londres et la BBC par le Général aux Français pour inviter à la Résistance contre l'ennemi. Conséquence de cet appel selon le manuel scolaire, "des milliers de Français courageux organisent alors, en France même, la Résistance". La résistance intérieure est donc posée comme la résultante de l'impulsion donnée, depuis Londres, par le général de Gaulle. La vision qui est donnée de la Résistance est celle d'une résistance masculine, militaire ("ils attaquent", "le maquis"), héroïque ("des milliers" - mais la France compte 40 millions d'habitants - qui forment des "petits groupes mal équipés et mal armés"). C'est l'armée de l'ombre qui est montrée, celle que mettras en scène le film éponyme de Jean Pierre Melville (1969), celle dont le film de René Clair, La bataille du rail, avait glorifié en 1946. 



(Question 2). De toute évidence, une telle démonstration, de plus effectuée dans un espace très limité, ne peut que passer sous silence certains acteurs. Il faut d'abord insister sur le fait que Vichy est néanmoins évoqué ( contrairement à la vision caricaturale - à laquelle certains aboutissent parfois -  selon laquelle l'évocation de la Résistance impliquerait un silence total sur Vichy) . Pétain n'est pas nommé, mais la collaboration de Vichy est mentionnée, même si elle est présentée - ce que les historiens contrediront plus tard - comme une collaboration subie et non comme une collaboration choisie. 
Pétain, procès devant la Haute Cour de Justice, 1945

Trois acteurs majeurs sont complètement absents, ou peu s'en faut, du résumé proposé. 
D'abord, les armées alliées (Etats-Unis, URSS, Royaume-Uni), dont le rôle essentiel à la Libération du territoire n'est pas même évoqué. Ce silence rehausse évidemment le rôle prêté à la Résistance, qui apparaît comme le seul acteur de la Libération. 
Débarquement de Normandie, 6 juin 1944


Deuxième absent, du moins nommément : les différents mouvements formant la Résistance intérieure, et particulièrement les communistes. Alors que les communistes sont alors à l'origine d'une mémoire spécifique de la Résistance, insistant sur le rôle majeur qu'ils ont joué ( le Parti des fusillés), les résistants sont présentés dans le manuel sous la seule étiquette de "Français". C'est important parce que cela souligne la volonté de rassemblement qui a présidé à la construction de la mémoire gaulliste. 
Parti communiste, affiche d'octobre 1945, à l'occasion des législatives
Enfin le texte évoque seulement le combat mené contre l'occupation, mais pas les victimes de ce combat - les fusillés, les déportés de répression - non plus que celles de la politique de persécution menée sur le territoire : Juifs, tsiganes. La vision proposée est vraiment militaire : seuls les combattants, réguliers ou non, en capacité de se battre ou non ( les prisonniers de guerre ), sont mentionnés. 

(Question 3) Ce document est donc un outil au service de la construction de la mémoire de la guerre, puisqu'il propose une représentation de la guerre à destination d'un public d'enfants qui ne l'ont pas connue - mais dont les parents, eux, l'ont vécue. Le manuel scolaire joue un rôle majeur dans la transmission des visions dominantes que l'on choisit de donner de l'événement. Il est à la fois le témoin des connaissances de l'époque ( peu de recherches historiennes alors sur Vichy, les archives étant fermées ; une histoire de la guerre et de la Résistance qui est, pour beaucoup, le fait des acteurs et témoins ), et le témoin des visions dominantes, de celles que le pouvoir en place entend transmettre.

(Question 4) Cette vision de la France dans la guerre va connaître des évolutions majeures. 
D'abord, à partir des années 1970, le rôle de Vichy va être précisé sous l'impulsion d'abord d'historiens étrangers comme Robert Paxton ( La France de Vichy, 1973), relayé par des historiens français dans les années 1970 et 1980 surtout. La vision de Vichy s'enrichit et se précise. C'est un Etat collaborateur - ce que l'on savait et disait déjà depuis le procès de Pétain par la Haute Cour de Justice en 1945 - , qui a fait le choix de la collaboration. C'est par ailleurs un Etat fort, qui s'apparente à une monarchie personnelle et a totalement rompu avec la tradition républicaine et démocratique. C'est enfin un régime antisémite qui a participé à la mise en oeuvre de la Solution Finale. 
Ensuite, il faut noter que les années 1970 sont celles du réveil de la mémoire de la Shoah, qui prend bien sûr la forme d'un recueil des témoignages et de l'apparition de cette mémoire au cinéma, mais qui prend aussi la forme du travail des historiens. Les premiers travaux émanent de chercheurs isolés ( comme le couple Klarsfeld à l'origine de la première liste des déportés juifs partis de France). Ils sont relayés ensuite par des travaux émanant des structures institutionnelles de recherche ( citons par exemple les travaux récents sur la spoliation des biens juifs pendant la guerre). 








Robert Paxton, La France de Vichy, Seuil, 1973
Serge Klarsfeld, Le mémorial de la déportation des Juifs de France, 1978
La persécution des Juifs de France (1940-1944) et le rétablissement de la légalité républicaine. Recueil des textes officiels , ouvrage réalisé sous la direction de Claire Andrieu, avec la participation de Serge Klarsfeld et Annette Wieviorka, et la collaboration de Olivier Cariguel et Cécilia Kapitz. Avec cédérom. Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Paris, La Documentation Française, 2000, 530 p. 

vendredi 11 novembre 2011

Regards d'écrivains sur l'Allemagne nazie

L'Allemagne nazie ... l'expression évoque d'abord le régime hitlérien, la mise en oeuvre de la Solution finale, une société enrégimentée, un passé difficile à assumer ... Mais l'Allemagne nazie est aussi le foyer d'une résistance ordinaire, d'une résistance des humbles. C'est de cette résistance ordinaire que traite le roman de Hans Fallada, paru en 1947 ( après le décès de son auteur), intitulé Seul dans Berlin ( Jeder stirbt fûr sich allein).

Seul dans Berlin raconte l'itinéraire d'un couple allemand, le couple Quangel, un couple ordinaire, jusque là membre du Parti, dont le fils Otto est parti se battre pour le régime sur le front de l'Est, et qui, peu à peu, bascule dans la remise en cause, accepte l'idée de s'opposer, et passe à l'acte, en l'occurrence, une résistance au quotidien, qui consiste à glisser sous les portes des appartements des messages anti-hitlériens. Pour Primo Levi, Seul dans Berlin est l'un des plus beaux livres sur la résistance antinazie. 


"–Otto est mort Trudel !Du fond du cœur de Trudel monte le même « Oh ! » profond qu’il a eu lui aussi en apprenant la nouvelle. Un moment, elle arrête sur lui un regard brouillé de larmes. Ses lèvres tremblent. Puis elle tourne le visage vers le mur, contre lequel elle appuie le front. Elle pleure silencieusement. Quangel voit bien le tremblement de ses épaules, mais il n’entend rien.« Une fille courageuse ! se dit-il. Comme elle tenait à Otto !… A sa façon, il a été courageux, lui aussi. Il n’a jamais rien eu de commun avec ces gredins. Il ne sest jamais laissé monter la tête contre ses parents par la Jeunesse Hitlérienne. Il a toujours été contre les jeux de soldats et contre la guerre. Cette maudite guerre !… »Quangel est tout effrayé par ce qu’il vient de penser. Changerait-il donc, lui aussi ? Cela équivaut presque au « Toi et ton Hitler » d’Anna.Et il s’aperçoit que Trudel a le font appuyé contre cette affiche dont il venait de l’éloigner. Au-dessus de sa tête se lit en caractère gras :AU NOM DU PEUPLE ALLEMANDSon front cache les noms des trois pendus.Et voilà qu’il se dit qu’un jour on pourrait fort bien placarder une affiche du même genre avec les noms d’Anna, de Trudel, de lui-même… Il secoue la tête, fâché… N’est-il pas un simple travailleur manuel, qui ne demande que sa tranquillité et ne veut rien savoir de la politique ? Anna ne s’intéresse qu’à leur ménage. Et cette jolie fille de Trudel aura bientôt trouvé un nouveau fiancé…Mais ce qu’il vient d’évoquer l’obsède :« Notre nom affiché au mur ? pense-t-il, tout déconcerté. Et pourquoi pas ? Etre pendu n’est pas plus terrible qu’être déchiqueté par un obus ou que mourir d’une appendicite… Tout ça n’a pas d’importance… Une seule chose est importante : combattre ce qui est avec Hitler… Tout à coup, je ne vois plus qu’oppression haine, contrainte et souffrance !… Tant de souffrance !… « Quelques millier » , a dit Borkhausen ce mouchard et ce lâche… Si seulement il pouvait être du nombre !… Qu’un seul être souffre injustement, et que, pouvant y changer quelque chose, je ne le fasse pas, parce que je suis lâche et que j’aime trop ma tranquillité… »Il n’ose pas aller plus avant dans ses pensées. Il a peur, réellement peur, qu’elles ne le poussent implacablement à changer sa vie, de fond en comble.Au lieu de cela, il contemple de nouveau ce visage de jeune fille au-dessus duquel on lit AU NOM DU PEUPLE ALLEMAND. Elle ne devrait pas pleurer ainsi, appuyée justement à cette affiche !… Il ne peut résister à la tentation ; il écarte son épaule du mur et dit, aussi doucement qu’il peut :–Viens, Trudel. Ne reste pas appuyée contre cette affiche !Un moment, elle regarde sans comprendre le texte imprimé. Ses yeux sont de nouveau secs, ses épaules ne tremblent plus. Puis la vie revient dans son regard. Ce n’est plus un éclat joyeux, comme lorsqu’elle s’avançait dans ce couloir ; c’est un feu sombre, à présent. Avec fermeté et douceur à la fois, elle pose la main à l’endroit où se lit le mot « pendaison » :–Je n’oublierai jamais, dit-elle, que c’est devant une de ces affiches que j’ai sangloté à cause d’Otto… Peut-être mon nom figurera-t-il aussi un jour sur un de ces torchons.Elle le regarde fixement. Il a le sentiment qu’elle ne comprend pas toute la portée de ce qu’elle dit. (Pages 34-36)



Hans Fallada - de son vrai nom Rudolf Ditzen - est un écrivain allemand né en Poméranie. Il a travaillé dans l'agriculture, l'édition, le journalisme, avant de pouvoir vivre de sa plume. C'est son deuxième roman : Kleiner Mann, was nun ? ( Et puis après? ), publié en 1932, qui lui confère une notoriété internationale. Le roman évoque l'itinéraire d'un jeune comptable, besogneux et honnête, que la crise économique fait plonger dans l'engrenage du chômage et de la misère. Avec ce roman, Fallada/Ditzen devient un chef de file du mouvement réaliste de la Neue Sachlichkeit ( mouvement qui compte des écrivains allemands tels Erich Kästner, Erich Maria Remarque)
Avec la prise de pouvoir de Hitler ( 1933), Fallada se retire sur ses terres de Feldberg ( Mecklembourg) où il se tient à l'écart de la vie publique. En 1944, il entame la rédaction de son roman Der Trinker ( Le Buveur) qui rappelle le parcours de l'auteur, lui-même alcoolique et morphinomane. 


Pour en savoir plus sur l'auteur ( site en anglais ) 

Sources : 
http://mondalire.pagesperso-orange.fr/seul_dans_berlin.htm#hp
http://kirjasto.sci.fi/hfallada.htm