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Au fil des questions au programme d'histoire-géographie des classes de lycée. Des commentaires, exercices, rappels, ...

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mardi 10 septembre 2013

France 1944 : l'épuration à la Libération





  • Une brève vidéo, qui évoque l' épuration "sauvage" menée à la Libération, portée par une soif de justice - contre les miliciens, les collaborateurs, ceux qui ont profité de l'Occupation, ceux qui ont trahi... - mais qui se traduit par des exécutions sommaires et des comportements collectifs pour le moins dérangeants.
  • Une épuration sauvage qui ne se traduit pas de la même façon selon le sexe, puisque les femmes sont - en plus, et avant toute mesure prise contre elles - tondues. 
  • La vidéo évoque le nécessaire passage à une épuration judiciaire, encadrée, dont l'instrument essentiel est la cour de justice. 
Bilan chiffré de l'épuration judiciaire : 



Pour en savoir plus sur les femmes tondues :  

http://lhistgeobox.blogspot.fr/2011/05/brassens-la-tondue-1964.html


lundi 27 août 2012

Lecture historique du patrimoine : les arènes de Lutèce


Le complexe hybride que furent les arènes de Lutèce sous l'Antiquité (scène pour les représentations théâtrales, arène pour les combats de gladiateurs et autres jeux) est désormais un lieu de visite, mais aussi un lieu de détente pour les promeneurs parisiens ou étrangers. 
La mise à nu de cette trace du passé de la ville a, comme c'est souvent le cas, été fortuite. Ce sont en effet les travaux de percement de rues effectués sous l'égide d'Haussmann ( ici, le percement de la rue Monge) qui autorisent la découverte d'une partie de l'ancien amphithéâtre dans les années 1860, une seconde partie étant mise à nu 20 ans plus tard. 
La question de savoir ce qui doit advenir de cet héritage du passé se pose alors : destruction? conservation? 
Membre de la société des Amis des arènes, Victor Hugo va être le plus ardent défenseur de cette seconde solution. Pourquoi conserver les arènes? Parce qu'elles témoignent de l'ancienneté de la ville et de sa puissance, et, en tant que telles,  contribuent à justifier sa puissance actuelle. 
Monsieur le Président, Il n’est pas possible que Paris, la ville de l’avenir, renonce à la preuve vivante qu’elle a été la ville du passé. Le passé amène l’avenir. Les arènes sont l’antique marque de la grande ville. Elles sont un monument unique. Le conseil municipal qui les détruirait se détruirait en quelque sorte lui-même. Conservez les arènes de Lutèce. Conservez-les à tout prix. Vous ferez une action utile, et, ce qui vaut mieux, vous donnerez un grand exemple. Je vous serre les mains, 
Lettre de Victor Hugo au président du conseil municipal de la Ville de Paris, 27 juillet 1883
La bataille de la conservation a donc été emportée, puisque les arènes, acquises par le conseil municipal, sont devenues monument historique.
Plus généralement, l'intérêt porté par les hommes du XIXe siècle au passé - ici, le passé antique, mais aussi le passé monarchique - témoigne d'un rapport au passé profondément modifié par la Révolution française. Avec elle, la notion de patrimoine prend réellement sens. Si le regard est tourné vers l'avenir - " Paris, la ville de l'avenir"  -, le rapport au passé gagne en importance, car il est le gage d'un futur prometteur. C'est l'une des raisons pour lesquelles les traces du passé doivent être conservées.

La plaque apposée en 1951 sur le site des arènes - "à l'occasion du bi-millénaire de Paris", la conquête romaine étant considérée comme l'élément fondateur de la Cité - témoigne d'une vision similaire dans laquelle passé, présent et avenir sont intimement liés. " Passant, songe... " : la prise à partie du passant n'est pas sans évoquer les accents que prendra, une génération plus tard, l'appel au devoir de mémoire. La proximité de la fin du second conflit mondial  n'est évidemment pas étrangère ici à la nostalgie qui se dégage de l'évocation de la grandeur passée, comme au lyrisme contenu dans le terme "tes espoirs".

Source des photos :
wikipedia.

samedi 12 mai 2012

La mémoire de la Résistance dans les manuels scolaires (1)


Extrait d'un manuel scolaire de l’école primaire de 1956 sur la résistance.

« La Deuxième Guerre Mondiale. La Résistance.
En juin 1940, les Allemands font prisonnière presque toute l'armée française. Ils envahissent la France tout entière. La plus grande partie de la France reste ensuite occupée pendant quatre ans par les troupes ennemies. Le reste du pays est dirigé par un nouveau gouvernement établi à Vichy. Le gouvernement de Vichy collabore avec les Allemands, c'est-à-dire qu'il accepte de gouverner sous leur contrôle.
Un chef français, le général de Gaulle, a réussi à quitter la France et s'est installé à Londres en Angleterre. Il avertit par radio les Français : « La guerre, déclare-t-il, n'est pas finie. Continuez à combattre l'ennemi. » Des milliers de Français courageux organisent alors, en France même, la Résistance. Ils se réfugient dans le maquis, c'est-à-dire dans les forêts et dans les montagnes. Leurs petits groupes, mal équipés et mal armés, attaquent avec héroïsme les troupes et les convois allemands.
Résumé de la leçon : Les Français sont vaincus par les Allemands en 1940, au début de la Deuxième Guerre Mondiale. La France est occupée. Mais de Gaulle ordonne aux Français de continuer la guerre. Les résistants attaquent les convois allemands. »

Source : A. Bonifacio, P. Maréchal, Histoire de France, cours élémentaire et moyen, Hachette, 1956.

Questions :


1.  Que peut-on dire de la façon dont la Résistance française et le général de Gaulle sont présentés dans ce document ?
2.  Quels acteurs de cette période de l'histoire de France sont absents ou peu évoqués ?
3.  En quoi ce document est-il un outil au service de la construction  de la mémoire de la guerre ?
4. Quelles évolutions majeures cette vision de l'histoire de la France dans la guerre connaîtra-t-elle dans les décennies suivantes ?

Les manuels scolaires sont des outils pertinents pour étudier les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France, et particulièrement celles de la Résistance. Pourquoi? Parce qu'ils proposent une vision simplifiée des mémoires officielles, des mémoires dominantes, de celles dont le pouvoir en place entend qu'elles soient transmises aux générations qui n'ont pas connu la guerre. 
Ici est proposé à l'étude un extrait d'un manuel destiné aux plus jeunes ( école primaire) en 1956, soit pendant la IV République, un peu plus de 10 ans après la fin du conflit. De Gaulle n'est alors pas au pouvoir, mais la mémoire gaulliste de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance inspire très largement la représentation du conflit livrée aux enfants. 

( Question 1 ) Le texte se compose de deux paragraphes : le premier fait état de la défaite, de l'occupation du territoire et de l'existence d'un gouvernement qui fait le choix de la collaboration (le gouvernement de Vichy) ; le second, présenté comme une antithèse du premier, met en évidence le rôle de la Résistance et de De Gaulle. Le général de Gaulle est posé comme l'initiateur de la Résistance. Il est celui qui fait le choix de l'exil ( "il quitte la France") - et ce lorsque la solution de l'armistice est adoptée par le gouvernement, choix qui est présenté ici comme un choix courageux. Il est aussi celui qui "avertit (...) les Français" : le texte fait évidemment allusion à l'appel du 18 juin 1940, puis aux autres appels lancés depuis Londres et la BBC par le Général aux Français pour inviter à la Résistance contre l'ennemi. Conséquence de cet appel selon le manuel scolaire, "des milliers de Français courageux organisent alors, en France même, la Résistance". La résistance intérieure est donc posée comme la résultante de l'impulsion donnée, depuis Londres, par le général de Gaulle. La vision qui est donnée de la Résistance est celle d'une résistance masculine, militaire ("ils attaquent", "le maquis"), héroïque ("des milliers" - mais la France compte 40 millions d'habitants - qui forment des "petits groupes mal équipés et mal armés"). C'est l'armée de l'ombre qui est montrée, celle que mettras en scène le film éponyme de Jean Pierre Melville (1969), celle dont le film de René Clair, La bataille du rail, avait glorifié en 1946. 



(Question 2). De toute évidence, une telle démonstration, de plus effectuée dans un espace très limité, ne peut que passer sous silence certains acteurs. Il faut d'abord insister sur le fait que Vichy est néanmoins évoqué ( contrairement à la vision caricaturale - à laquelle certains aboutissent parfois -  selon laquelle l'évocation de la Résistance impliquerait un silence total sur Vichy) . Pétain n'est pas nommé, mais la collaboration de Vichy est mentionnée, même si elle est présentée - ce que les historiens contrediront plus tard - comme une collaboration subie et non comme une collaboration choisie. 
Pétain, procès devant la Haute Cour de Justice, 1945

Trois acteurs majeurs sont complètement absents, ou peu s'en faut, du résumé proposé. 
D'abord, les armées alliées (Etats-Unis, URSS, Royaume-Uni), dont le rôle essentiel à la Libération du territoire n'est pas même évoqué. Ce silence rehausse évidemment le rôle prêté à la Résistance, qui apparaît comme le seul acteur de la Libération. 
Débarquement de Normandie, 6 juin 1944


Deuxième absent, du moins nommément : les différents mouvements formant la Résistance intérieure, et particulièrement les communistes. Alors que les communistes sont alors à l'origine d'une mémoire spécifique de la Résistance, insistant sur le rôle majeur qu'ils ont joué ( le Parti des fusillés), les résistants sont présentés dans le manuel sous la seule étiquette de "Français". C'est important parce que cela souligne la volonté de rassemblement qui a présidé à la construction de la mémoire gaulliste. 
Parti communiste, affiche d'octobre 1945, à l'occasion des législatives
Enfin le texte évoque seulement le combat mené contre l'occupation, mais pas les victimes de ce combat - les fusillés, les déportés de répression - non plus que celles de la politique de persécution menée sur le territoire : Juifs, tsiganes. La vision proposée est vraiment militaire : seuls les combattants, réguliers ou non, en capacité de se battre ou non ( les prisonniers de guerre ), sont mentionnés. 

(Question 3) Ce document est donc un outil au service de la construction de la mémoire de la guerre, puisqu'il propose une représentation de la guerre à destination d'un public d'enfants qui ne l'ont pas connue - mais dont les parents, eux, l'ont vécue. Le manuel scolaire joue un rôle majeur dans la transmission des visions dominantes que l'on choisit de donner de l'événement. Il est à la fois le témoin des connaissances de l'époque ( peu de recherches historiennes alors sur Vichy, les archives étant fermées ; une histoire de la guerre et de la Résistance qui est, pour beaucoup, le fait des acteurs et témoins ), et le témoin des visions dominantes, de celles que le pouvoir en place entend transmettre.

(Question 4) Cette vision de la France dans la guerre va connaître des évolutions majeures. 
D'abord, à partir des années 1970, le rôle de Vichy va être précisé sous l'impulsion d'abord d'historiens étrangers comme Robert Paxton ( La France de Vichy, 1973), relayé par des historiens français dans les années 1970 et 1980 surtout. La vision de Vichy s'enrichit et se précise. C'est un Etat collaborateur - ce que l'on savait et disait déjà depuis le procès de Pétain par la Haute Cour de Justice en 1945 - , qui a fait le choix de la collaboration. C'est par ailleurs un Etat fort, qui s'apparente à une monarchie personnelle et a totalement rompu avec la tradition républicaine et démocratique. C'est enfin un régime antisémite qui a participé à la mise en oeuvre de la Solution Finale. 
Ensuite, il faut noter que les années 1970 sont celles du réveil de la mémoire de la Shoah, qui prend bien sûr la forme d'un recueil des témoignages et de l'apparition de cette mémoire au cinéma, mais qui prend aussi la forme du travail des historiens. Les premiers travaux émanent de chercheurs isolés ( comme le couple Klarsfeld à l'origine de la première liste des déportés juifs partis de France). Ils sont relayés ensuite par des travaux émanant des structures institutionnelles de recherche ( citons par exemple les travaux récents sur la spoliation des biens juifs pendant la guerre). 








Robert Paxton, La France de Vichy, Seuil, 1973
Serge Klarsfeld, Le mémorial de la déportation des Juifs de France, 1978
La persécution des Juifs de France (1940-1944) et le rétablissement de la légalité républicaine. Recueil des textes officiels , ouvrage réalisé sous la direction de Claire Andrieu, avec la participation de Serge Klarsfeld et Annette Wieviorka, et la collaboration de Olivier Cariguel et Cécilia Kapitz. Avec cédérom. Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Paris, La Documentation Française, 2000, 530 p. 

lundi 7 novembre 2011

1970, Willy Brandt à Varsovie

Kniefall von Warschau ( la génuflexion de Varsovie). Willy Brandt s'agenouille devant le monument commémorant le soulèvement du ghetto de Varsovie

En 1970, le voyage de Willy Brandt (chancelier de la RFA depuis 1969) à Varsovie peut être considéré comme un symbole fort de la détente entre l'Est et l'Ouest, entre le bloc occidental et le bloc communiste

(Source : wikipedia, article ligne Oder-Neisse)
En effet, l'objectif du voyage est la reconnaissance par la RFA de la frontière du territoire allemand avec la Pologne. Cette frontière, fixée provisoirement en 1945 sur la ligne Oder-Neisse, a été reconnue par la RDA( accords de Görlitz de 1950), mais jamais par la RFA. En reconnaissant la ligne Oder-Neisse comme frontière entre l'Allemagne et la Pologne, le chancelier ouest-allemand oeuvre donc dans le sens d'une normalisation des relations entre l'ouest ( la RFA ) et l'est ( la démocratie populaire qu'est la Pologne). C'est la porte ouverte à une normalisation des relations entre RFA et RDA - normalisation qui se traduira en actes par le règlement du statut de Berlin (1971), puis, par la reconnaissance mutuelle des deux Allemagnes, et donc leur entrée à l'ONU (1973).  Le voyage en Pologne a donc des conséquences territoriales - acceptation de la carte de l'Europe issue de la Seconde Guerre mondiale - et diplomatiques. Il s'inscrit dans une politique originale de rapprochement de la RFA avec l'URSS, désignée sous le nom d'Ostpolitik.

Dans le même temps, le voyage en Pologne signe la reconnaissance par l'Allemagne des crimes perpétrés - par l'Allemagne nazie - sur le territoire polonais : génocide des juifs polonais, répression du soulèvement du ghetto de Varsovie. Cette reconnaissance n'est pas de l'ordre du discours, elle est implicite : en s'agenouillant devant le monument qui commémore le soulèvement du ghetto de Varsovie, Willy Brandt demande, de fait, pardon. 






Pour en savoir plus sur la portée et le sens de ce moment historique : 
Pour en savoir plus sur l'Ostpolitik : 
http://bricabraque.unblog.fr/2009/11/03/lostpolitik/

vendredi 16 septembre 2011

L'Allemagne en 1949, toile de fond d'un roman policier



L'écrivain écossais Philip kerr a créé le personnage de Bernie Gunther dans La trilogie berlinoise ( qui regroupe trois romans publiés dans les années 1989-1991 : L'été de cristal, la pâle figure et Un requiem allemand). Bernie Gunther est alors un policier de Berlin, membre de la SS, qui fait le choix de devenir détective privé. Dans le Berlin des années 30, les personnes disparues ne manquent pas. Les enquêtes du détective évoquent l'ambiance du Troisième Reich, les rues "nettoyées" pour offrir une image idyllique aux visiteurs des Jeux Olympiques de 1936. 
Suite de la trilogie berlinoiseLa mort, entre autres, se situe dans l'après-guerre, en 1949, entre Munich, Vienne et Garmisch-Partenkirchen. L'Allemagne est occupée et devient le théâtre privilégié de l'affrontement qui oppose les anciens Alliés, américains et soviétiques, dans le cadre de la Guerre froide. Comme dans ses romans précédents, Philip Kerr mêle la fiction et les personnages historiques ( ici, Adolf Eichmann). 
A la demande d'une cliente, le détective part à la recherche de son époux, un nazi recherché pour crimes contre l'humanité. L'enquête - absolument fictive -, pleine de rebondissements, permet d'interroger l'attitude des puissances occupantes dans l'ex-Reich, et particulièrement la manière dont a été conduite - ou non - la dénazification. Le roman évoque en effet la fuite des nazis vers l'Amérique latine, les soutiens qu'ils ont pu trouver auprès de l'Eglise, des Alliés, des réseaux occultes d'anciens nazis. Il pose aussi la question du regard porté par les anciens bourreaux sur leurs crimes. 
La mort, entre autres, est un excellent roman policier. Et, sous couvert de roman policier, il offre un tableau documenté et sensible de l'après-guerre en Allemagne. Enfin, il pose des questions essentielles : quel(s) rapport(s) celui qui a vécu l'Allemagne nazie entretient-il avec son passé? Quelle part pour la morale, pour le droit, lorsque la logique politique prime? Ces questions de la mémoire, de la dignité, de la conscience, innervent tout le roman,avec une finesse qu'explique peut-être l'itinéraire de l'auteur, ancien avocat passionné de philosophie. 


Pour aller plus loin :  
Le Magazine Littéraire : l'actualité des livres, des critiques et des écrivains

vendredi 26 août 2011

La tombe de Rudolph Hess ne sera plus un lieu de culte pour les nazis

Au mois de juillet 2011, dans un charmant petit village bavarois, sur décision paroissiale longuement mûrie, la dépouille de Rudolph Hess a été exhumée puis incinérée. Ses cendres ont été dispersées dans la mer. Il ne reste donc plus rien de Rudolph Hess, plus de pierre tombale qui puisse attirer les fidèles nazis - vieillards nostalgiques de la belle époque, jeunes nazillons convaincus des mérites d'un régime qu'ils n'ont pas connu...

  • Qui était Rudolph Hess? 
Who was Rudolph Hess? Born into a prosperous family of traders in 1894 Rudolf Hess first met Hitler in 1920, and became a devoted Nazi rapidly rising up the party hierarchy. But his career was cut short when he made a dramatic solo flight to the UK on the eve of Germany's invasion of the Soviet Union in 1941.Whether Hitler sanctioned the flight or it was on Hess's own initiative remains disputed but it appears Hess wanted to try and negotiate some form of peace settlement with Britain. To his bitter surprise his offer was rejected and he spent the rest of the war as a POW.But his time in the UK probably saved him from the gallows as he escaped charges of war crimes and crimes against humanity at the Nuremberg trials in 1946. Found guilty of crimes against peace he was sentenced to life in prison.On August 17 1987 Hess was found dead in his cell in Spandau prison. A coroner's report concluded he had committed suicide by strangulation, although his lawyer always maintained he had been murdered by the British, fearful that, if released, Hess might divulge secrets about his wartime flight.end
 http://www.telegraph.co.uk/news/8652573/Who-was-Rudolf-Hess.html
De ce qui précède, vous aurez compris que Rudolph Hess était une figure entourée de mystère. L'un des plus anciens partisans d'Hitler, ayant participé à l'événement fondateur qu'a été le putch de la brasserie de 1923, il a été enfermé avec lui à la prison de Landsberg et lui a servi de secrétaire pour la rédaction de Mein Kampf ; mais il est aussi celui qui a vainement tenté la négociation avec la Grande-Bretagne dès 1941; il est ainsi en 1945 un criminel de guerre (prisonnier depuis 1941 des Alliés) contre lequel n'ont pu être retenues les charges les plus graves lors du procès de Nuremberg ( crime de guerre et surtout crime contre l'humanité), et qui a donc été condamné à la prison à perpétuité; mais qui, en 1987, âgé de 93 ans, aurait fait, dans la prison de Spandau (Berlin-ouest) le choix du suicide... 
Who was Rudolf Hess?
Hitler et son fidèle Rudolph Hess
En 1987, lorsqu'il se suicide, le prisonnier Rudolph Hess est le dernier prisonnier nazi encore détenu à la prison de Spandau. Les six autres condamnés à Nuremberg à une peine de prison (Von Neurath, Raeder, Dönitz, Funk, Von Schirach, et Speer) ont été libérés dans les années cinquante et soixante. Sa longue incarcération - il était condamné à perpétuité - , sa longévité, son suicide (autour duquel plane la rumeur d'un assassinat commandité par la CIA), en font un symbole. De plus, Hess occupait une position élevée dans la hiérarchie nazie : ami intime d'Hitler, il avait été désigné comme son représentant  en avril 1933 et promu ministre sans portefeuille du Reich en décembre de la même année. Dans l'ordre de succession du Führer, il occupait la seconde place derrière Göring. 
  • Effacer les traces des criminels nazis
la prison de Spandau en 1951
Près de 40 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, après le décès de Hess, les autorités alliées en charge de l'administration de Berlin ont jugé préférable de ne pas permettre que la prison de Spandau devienne un lieu de recueillement pour les nostalgiques du Troisième Reich. La prison a donc été rasée, et, à sa place, a été construit un bâtiment commercial. Les matériaux qui avaient servi à la construction de la prison ne furent pas réutilisés mais dispersés dans la mer du Nord.
Effacer les lieux est plus facile qu'effacer les hommes. En 1987, La volonté exprimée par Rudolph Hess d'être enterré dans le cimetière protestant de Wunsiedel ( Bavière), où ses parents avaient possédé une résidence, avait été respectée. Depuis, sa tombe était devenue le plus important lieu de pèlerinage néo-nazi allemand. Chaque année, des militants nostalgiques se retrouvaient à la date de son décès ( 17 août ) autour de la tombe porteuse d'une inscription propre à enflammer les esprits : "Ich habe gemagt" (J'ai osé). C'est à ce culte, que de nombreux règlements municipaux n'étaient pas parvenus à enrayer ( 5 000 personnes présentes encore en 2005), que l'exhumation et l'incinération de la dépouille de Hess mettent fin. Précisons que la mesure a reçu l'approbation des héritiers de Rudolph Hess, qui, après avoir demandé le renouvellement de la concession pour 20 ans ( elle arrivait à échéance en octobre 2011), se sont rangés à l'avis négatif des autorités religieuses locales. 
  • Nostalgie et enjeu de mémoire
L'exhumation de la dépouille de Rudolph Hess a été effectuée en catimini et peu de journaux ont relayé l'information (presse régionale bavaroise, nationale allemande, Les dernières nouvelles d'Alsace...). Une exhumation "à la lueur d'un petit projecteur (...), à l'abri du public, et sans que les médias en soient informés" (Dernières nouvelles d'Alsace, 22/07/2011). Un tel silence s'explique par la volonté de ne pas favoriser la résurgence d'une mémoire clandestine, celle du nazisme. En Allemagne, le salut hitlérien est  interdit. Et si les historiens allemands font la lumière sur le passé nazi, considérant le point de vue des victimes, la nostalgie d'un "bon vieux temps" subsiste. En Allemagne, mais aussi en France... comme en témoigne le fait que l'un des rares sites à avoir relayé l'information relative à l'exhumation de Rudolph Hess soit le blog d'une formation d'extrême-droite : la Nouvelle Droite Populaire/Alsace. 
Le traitement de l'information par ce site est extrêmement révélateur des enjeux de mémoire qui s'y attachent. En premier lieu, il est l'un des rares ( je n'ai pas poussé la recherche au-delà des 10 premières pages de réponse affichées sur Google ) à proposer la photo de la tombe de Hess - telle qu'elle existait avant l'exhumation. En second lieu, cette exhumation est considérée comme " une profanation" ( l'article précédent proposé par ce blog traite de profanations de cimetières chrétiens dans une tentative d'amalgame).


(...)
A 04h00 du matin, le 20 juillet, dans un style "commando" similaire à celui des forces américaines contre Ben Laden, les forces de l'ordre sont entrées dans le cimetière de Wunsiedel en Allemagne.
Leur but : détruire la tombe de Rudolf Hess, exhumer ces restes, les brûlés (sic)  et diffuser ces cendres en mer pour que celui-ci disparaisse à jamais.
C'est pour mettre fin aux commémorations annuelles de sa disparition suspecte, le 17 aout 1987, que la paroisse protestante de Wunsiedel a décidé de ne pas renouveler la concession familiale où reposait Rudolf Hess. Les autorités ont enlevé la tombe de celui-ci afin d’effacer toutes les traces qui pourraient donner lieu à quelconques pèlerinages. Souvenez-vous que, juste après la mort de Rudolf Hess, la prison de Spandau, près de Berlin, où il avait passé 46 années de captivité, avait été détruite pour les mêmes raisons…
Rudolf Hess avait rejoint l’Angleterre en avion, en 1941, afin de proposer une cessation des hostilités entre les puissances de l’Axe et les alliés. Ceci était son seul « crime ». Il n'a pas été condamné à Nuremberg pour des "crimes contre l'humanité", comme la plupart des autres accusés, mais paradoxalement condamné à la prison à vie pour des "crimes contre la paix" !  Ce qui nous montre que le tribunal de Nuremberg n'était qu'une vaste mascarade juste destinée à satisfaire les humeurs vengeresses des vainqueurs.
L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs. N'oublions pas que la dépouille de l'un des plus grands hommes que l’Angleterre ait connue, Oliver Cromwell, fut, à l'époque, exhumée de sa propre tombe et pendue à Tyburn.
La profanation de la tombe de Rudolf Hess n'est ni le premier, ni le dernier, de ces actes mesquins ayant pour seul but d’éradiquer nos mémoires et notre histoire.
Mais qu’il s’agisse de Jeanne d'Arc, de William Wallace, de Robert Brasillach ou des autres martyrs de notre cause, ils peuvent les souiller, les pendre, les brûler, les réduire en poussières et les disperser dans le vent ou la mer, dans nos esprits et dans nos cœurs, ils marcheront toujours dans nos rangs…
( extrait du message consacré à l'exhumation sur le blog de la Nouvelle Droite Populaire)



Tout est dit. D'abord, l'exhumation est présentée comme une opération violente (commando, les forces sont entrées, détruire, brûler, diffuser...), irrespectueuse des individus - silence sur l'accord familial à cette mesure -, qui ont tous droit au repos... Ensuite, la réhabilitation de l'individu sur fond de demi-vérité : Hess a été paradoxalement condamné pour crimes contre la paix. Ce qui est vrai, si l'on enlève le terme paradoxalement. Du point de vue des auteurs de ce blog, c'est mettre l'accent sur ses tentatives de négociations, lesquelles auraient été passées par pertes et profit au procès de Nuremberg. C'est donc en somme un artisan de la paix qui aurait été condamné ! C'est là une lecture tronquée des chefs d'accusation qui est proposée. En effet, les chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité n'ont pu être retenus contre Rudolph Hess puisque dès 1941, il est prisonnier aux mains des Alliés. Etre condamné pour crimes contre la paix recouvre "la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression ou d'une guerre de violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent". Membre du conseil de défense du Reich, bras droit d'Hitler, Hess a de toute évidence participé à la préparation de la Seconde Guerre mondiale.  
De la réhabilitation de Rudolph Hess au mépris pour le procès de Nuremberg, il n'y a qu'un pas, que l'article s'empresse de franchir : Nuremberg a été une "mascarade destinée à satisfaire les humeurs vengeresses des vainqueurs". Exit l'esprit éventuel de justice qui aurait animé les artisans de ce procès d'un genre nouveau ! Exit surtout l'idée d'une responsabilité de l'Allemagne et surtout du régime nazi dans les crimes perpétrés.
Dernier temps : la réécriture de l'histoire, légitime puisque l'histoire officielle " est écrite par les vainqueurs". Pour autant, l'article ne développe pas. Pas de révisionnisme affiché, une prise de risque nulle donc, du fait des risques encourus mais aussi pour laisser le lecteur sous l'emprise de formules fortes - et non argumentées...
L'énumération finale mérite que l'on s'y arrête. D'une part, parce qu'elle met sur un pied d'égalité des héros officiels de la mémoire nationale (Jeanne d'Arc) et des collaborateurs condamnés comme tels dans le cadre de l'épuration (Robert Brasillach). Surtout parce qu'elle procède à un renversement des rôles saisissant : ce sont les autres ("ils"?) - c'est à dire ceux qui ne sont pas nostalgiques du passé nazi - qui sont les auteurs des crimes ("souiller, pendre, brûler"...). 
Reste une mémoire nazie condamnée à la clandestinité - "éradiquer nos mémoires et notre histoire" - mais qui tend à afficher sa vigueur. 
Outre la photographie de la tombe de Rudolph Hess, le propos est illustré par une vidéo, postée sur youtube par un mystérieux HerrRadieu ( dont la plupart des vidéos postées, aux titres évocateurs "Germania", Souvenirs effacés", "LVF"...) ne sont pas disponibles en France, et intitulée : "Rudolph Hess, dernier adieu". Un hymne au grand homme est proposé, sur fond de photographies bon enfant ( Hess souriant, avec des enfants...) et de musique sirupeuse. A la date d'aujourd'hui, 1370 internautes " aiment" dont un qui affirme : "ils peuvent détruire un corps, une sépulture... Mais l'idéal qui l'animait reste bien vivant! Souvenons nous de lui!"


http://www.youtube.com/watch?v=_YCQ3LAloE0&feature=player_embedded

Sources :
Photos : http://law2.umkc.edu/faculty/projects/ftrials/nuremberg/nuremberghess.html
Rfi
http://www.telegraph.co.uk/news/8652573/Who-was-Rudolf-Hess.html
http://d-d.natanson.pagesperso-orange.fr/nuremberg.htm
http://www.dna.fr/fr/infos-generales/monde/info/5451522-Allemagne-La-tombe-du-nazi-Rudolf-Hess-detruite-Une-depouille-embarrassante
http://ndp-alsace.hautetfort.com/archive/2011/07/22/profanation-politiquement-correct-du-cimetiere-de-wunsiedel.html

mercredi 22 juin 2011

Jorge Semprun, itinéraire d'un éternel résistant (1923-2011)


Jorge Semprun est mort le 7 juin 2011 à Paris. Il avait fait de la France son pays d'adoption et de la langue française, la langue de ses écrits. En 1996, il avait été admis à l'Académie Goncourt. 
Le général Franco, 1936
  • Fuir le franquisme : La France, patrie d'adoption...

Jorge Semprun est né le 10 décembre 1923 à Madrid dans une famille bourgeoise : son père est avocat et professeur de droit. Catholique pratiquant, il est néanmoins partisan de la jeune république espagnole portée au pouvoir en 1931, et du gouvernement de Front populaire créé en 1936 en Espagne.  En 1937, pendant la guerre d'Espagne, la famille de Jorge Semprun s'exile en France. A Paris, il suit sa scolarité ( au lycée Henri IV). Il a 16 ans en avril 1939 lorsque le général Franco annonce la fin de la guerre civile espagnole, dont il sort vainqueur. En septembre 1939,  la France déclare la guerre à l'Allemagne hitlérienne, donc au pays qui a armé les combattants franquistes. Jorge Semprun ne peut que partager la cause française. 

Mais, côté français, l'entrée en guerre contre l'Allemagne est une entrée en guerre à reculons : pas de combats déclenchés sur le front occidental, une "drôle de guerre" derrière la ligne Maginot, et, par contre, une lutte ouverte déclenchée contre l'ennemi de l'intérieur : le communiste. Le Parti communiste ( conséquence de la signature du pacte germano-soviétique en août 1939) est dissous. 
Buchenwald
En mai-juin 1940, la défaite entraîne l'instauration du régime de Vichy, qui fait le choix de la collaboration avec l'Allemagne. Jorge Semprun, alors âgé de 18 ans, fait précocement le choix de la résistance. Il participe - il est alors jeune lycéen - à la manifestation du 11 novembre 1940. Puis, il s'engage au côté des forces communistes : en 1941 ( alors qu'il est étudiant en philosophie à la Sorbonne), il adhère à l'organisation communiste des Francs Tireurs et Partisans. Son engagement résistant lui vaut la déportation. En 1943, il est arrêté par la Gestapo et envoyé au camp de concentration de Buchenwald.
http://www.ina.fr/video/I05276515/jorge-semprun-sur-buchenwald.fr.htm

  • Lutter contre le franquisme après-guerre
Jorge Semprun rentre à Paris en 1945, après le "grand voyage" (c'est le titre du premier livre   de Jorge Semprun, publié en 1963) qu'est la déportation. Jusqu'en 1952, il sera traducteur auprès de l'Unesco. Il reste un militant. Le franquisme est sorti intact de la guerre et continue à imposer sa marque à l' Espagne.   C'est au sein du parti communiste qu'il continue la lutte contre cette dictature : à partir de 1953, il coordonne les activités clandestines de résistance au régime de Franco au nom du Comité Central du Parti communiste espagnol en exil puis il entre au Comité Central et au bureau politique. De 1957 à 1962, il anime le travail clandestin du parti communiste dans l'Espagne de Franco sous le pseudonyme de Frederico Sanchez. 
L'année 1963 marque un tournant majeur dans son itinéraire. D'abord parce qu'il reçoit le prix Formentor pour "Le grand voyage", premier texte qui narre le voyage du déporté vers l'univers concentrationnaire, et qui le fait connaître du grand public. Ensuite, parce que ses prises de position lui valent d'être exclu du Parti (en 1964). On est alors en pleine guerre froide, et le Parti communiste ne supporte aucune divergence.

  • "L'écriture ou la vie"...
La rupture avec le Parti communiste marque un véritable tournant. Désormais, Jorge Semprun se consacre à son travail d'écrivain et de scénariste. La plupart de ses oeuvres sont écrites en français et ses qualités d'écrivain lui vaudront la reconnaissance de ses pairs ( prix littéraires de renom, français comme étrangers, mais aussi élection à l'Académie Goncourt en 1996). Son parcours militant, son renom comme écrivain, lui valent aussi d'être appelé à occuper le ministère de la Culture (entre 1988 et 1991)  dans une Espagne enfin libérée du franquisme (la mort de Franco en novembre 1975 permet le rétablissement d'un état de droit en Espagne) et gouvernée par les socialistes ( gouvernement Felipe Gonzalez). 
L'expérience concentrationnaire est au coeur de son oeuvre littéraire. En 1994, l'écriture ou la vie lui est ainsi consacré, ainsi qu'à l'expérience du retour. 
"Quant à moi, je me souviens vraiment du 8 mai 1945. Ce n’est pas une simple date pour manuels scolaires. Je me souviens du ciel radieux, de la blondeur des filles, de la ferveur des multitudes. Je me souviens de l’angoisse des familles en grappes affligées à l’entrée de l’hôtel Lutétia, attendant des proches non encore revenus des camps. Je me souviens d’une femme aux cheveux grisonnants, au visage encore lisse et juvénile, qui était montée dans le métro à la station Raspail. Je me souviens qu’un remous des voyageurs l’avait poussée près de moi. Je me souviens qu’elle a soudain remarqué ma tenue, mes cheveux ras, qu’elle a cherché mon regard. Je me souviens que sa bouche s’est mise à trembler, que ses yeux se sont remplis de larmes. Je me souviens que nous sommes restés longtemps face à face, sans dire un mot, proches l’un de l’autre d’une inimaginable proximité. Je me souviens que je me souviendrai toute ma vie de ce visage de femme. Je me souviendrai de sa beauté, de sa compassion, de sa douleur, de la proximité de son âme."

( L'écriture ou la vie)

Jorge Semprun à Buchenwald en 1995
Rencontre avec Jorge Semprun, à l'occasion de la parution de L'Écriture ou la vie (1994)  : ( interview sur le site de Gallimard)
  L'Écriture ou la vie... Ce « ou » est-il exclusif ?
  Jorge Semprun  Quand je suis rentré de Buchenwald, à la fin d'avril 1945, j'avais un peu plus de vingt ans. Depuis l'âge de sept ans, j'avais décidé d'être écrivain. Dès mon retour, j'ai donc voulu écrire sur l'expérience que je venais de vivre. Quelques mois plus tard, après avoir écrit, réécrit et détruit des centaines de pages, je me suis rendu compte qu'à la différence d'autres expériences, notamment celles de Robert Antelme et surtout de Primo Levi, qui se sont dégagés de l'horreur de la mémoire par l'écriture, il m'arrivait précisément l'inverse. Rester dans cette mémoire, c'était à coup sûr ne pas aboutir à écrire un livre, et peut-être aboutir au suicide. J'ai donc décidé d'abandonner l'écriture pour choisir la vie, d'où ce titre. Et ce « ou ».
  Comment est-il possible de choisir la vie en renonçant précisément à ce qui fait sa vie ?
  Jorge Semprun  C'était un choix terrible pour continuer à exister, j'ai dû cesser d'être ce que je voulais être le plus. Et j'ai tenu pendant dix-sept ans. J'ai pratiqué une sorte de thérapie systématique, parfois brutale, de l'oubli. Et j'y suis parvenu au point d'entendre des anciens déportés parler des camps sans avoir conscience que moi aussi j'étais des leurs. J'écoutais leurs récits comme des témoignages extérieurs. En même temps, les plus petites choses pouvaient faire rejaillir les souvenirs. 
  Qu'est-ce qui a déclenché le retour à l'écriture ?
  Jorge Semprun  Lorsque j'étais dirigeant du Parti communiste espagnol, il m'est arrivé, en 1961, de me retrouver bloqué dans un appartement clandestin de Madrid, dont je n'ai pu sortir pendant toute une semaine en raison des menaces policières. Tous ces jours-là, j'ai passé mon temps à écouter les récits du maître de maison. Il avait été interné à Mauthausen, mais ignorait que j'avais été moi-même déporté. Plus je l'écoutais, plus je trouvais qu'il racontait très mal, qu'il était impossible de comprendre de quoi il parlait. Et tout à coup, au terme de cette semaine, la mémoire m'est revenue et j'ai écrit, très vite, Le Grand Voyage. Dès qu'il a été publié, mon rapport au passé et à la mémoire a basculé. Il est redevenu douloureux et terrifiant. Je suis sorti de l'oubli pour entrer dans l'angoisse.
  Et la genèse de L'Écriture ou la vie ?
  Jorge Semprun — Beaucoup plus tard, en 1987. J'écrivaisNetchaïev est de retour et, un samedi d'avril, je racontais une scène où l'un des personnages du roman se rendait à Buchenwald pour tenter de retrouver un compagnon de résistance déporté. Tout cela devait tenir en deux pages. Ce jour-là, l'écriture a dérapé complètement. Je me suis retrouvé en train d'écrire, à la première personne, un autre livre : c'étaient les premières pages de L'Écriture ou la vie. L'inconscient, ou je ne sais quoi, m'avait joué un curieux tour : ce samedi 11 avril était l'anniversaire de la libération de Buchenwald, et la première nouvelle entendue le lendemain fut l'annonce du suicide de Primo Levi... Dans ces conditions, il me fallait évidemment mener ce livre à son terme. Cela m'a pris très longtemps.
  Êtes-vous ainsi parvenu au bout de la mémoire ?
  Jorge Semprun  À partir du moment où s'accomplit le premier travail de mémorisation, tout revient peu à peu. Mais je me suis aperçu que j'avais tellement oublié que certains souvenirs, que je sais présents, restent à retrouver. Je peux aller encore plus loin.
  • Bibliographie et filmographie



1963 Le grand voyage Gallimard, roman, prix Formentor
1967 L'évanouissement Gallimard, roman
1969 La deuxième mort de Ramon MercaderGallimard, roman, prix Fémina
1986 La montagne blanche Gallimard, roman
1994 L'écriture ou la vie Gallimard, récit, prix Fémina Vacaresco
1998 Adieu, vive clarté... blanche Gallimard
1998 Le retour de Carola Neher Le Manteau d’Arlequin, Gallimard
2002 Le mort qu'il faut Gallimard
2004 Vingt ans et un jour Gallimard, Collection Du monde entier, traduction de l'espagnol par Serge Mestre
Autobiographie de Federico Sanchez, réédité en Points-Seuil en 1996
1980 Quel beau dimanche! Grasset
1991 L'Algarabie Fayard, réédité chez Gallimard Folio en 1997
1991 Netchaïev est de retour Lattès
1993 Federico Sanchez vous salue bien Grasset
1995 Mal et modernité Climats
2002 Les sandales Mercure de France
2003 Veinte anos y un dia Tusquets, Barcelone
Filmographie : 
La guerre est finie, d'Alain Resnais, scénario, 1966
Z, de Costa Gavras, scénario, 1969
Stavisky, d'Alain Resnais, scénario, 1974
L'Aveu, de Costa Gavras, d'après A. London, scénario et dialogues de J. Semprun et C. Gavras, 1970
Section Spéciale de C. Gavras, scénario et dialogues de J. Semprun et C. Gavras, 1975
Une femme à sa fenêtre de P. Granier-Deferre, scénario et dialogues de J. Semprun, 1976
Les routes du sud de Joseph Losey, scénario et dialogues de J. Semprun, 1978



Sources
http://www.academie-goncourt.fr/?membre=1016697318
http://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01029405.htm

dimanche 29 mai 2011

L'Allemagne et son passé nazi


Ordnung und Vernichtung  (Ordre et extermination), 

A Berlin, une exposition intitulée "Ordre et extermination" est consacrée au rôle de la police allemande. Elle témoigne non seulement de l'avancée des connaissances historiques relatives au IIIe Reich et aux instruments de la terreur, mais aussi de la volonté des Allemands d'affronter leur passé. 
L’exposition berlinoise porte sur le rôle de la police sous le IIIe Reich, bras armé du régime en Allemagne même, mais aussi et surtout exécutante de la « solution finale » en Europe centrale et orientale. Des biographies de suiveurs mais aussi d’objecteurs montrent qu’il était tout à fait possible de « résister ». Enfin, un volet de l’exposition, intitulé « Un nouveau départ mais pas une année zéro », est consacré à la lenteur avec laquelle, à partir de 1945, le travail de mémoire sur ce point particulier se mettait en place.


  • La police allemande : une histoire sombre désormais connue
Entre 1933 et 1945, non seulement la Gestapo (police secrète d’État), mais aussi l’Ordnungspolizei (police régulière en uniforme, chargée du maintien de l’ordre) et la Kriminalpolizei (police criminelle) ont joué un rôle majeur dans la mise en oeuvre du programme nazi. 

Humiliation publique de Christine Neemann et Julius Wolff - avec un écriteau autour du cou « Je suis un profanateur de la race », à Norden le 22 juillet 1935



Dès 1933, les policiers ont tout fait pour appliquer par la force l’idéologie nazie, ou ce que beaucoup d’entre eux tenaient pour telle.  La photographie proposée ci-dessus (humiliation publique, Norden - frise orientale -, juillet 1935) témoigne de cet empressement de la police allemande à devancer les ordres. A la date de cette photographie, les lois de Nuremberg ne sont pas votées...  Pourtant, la police soutient - et participe - à une humiliation publique de "profanateurs de la race". Flanqué de deux agents de police, l'homme porte au cou un écriteau "Je suis un profanateur de la race", sa femme, tête basse, est aussi exposée aux badauds. En septembre 1935, la "loi sur la protection du sang allemand et de l'honneur allemand" (lois de Nuremberg) interdit le mariage et même les relations extraconjugales entre Juifs et citoyens de sans allemand. Des sanctions pénales sont prévues pour les contrevenants : la "Rassenschande" ("honte raciale" ou crime de race) est passible de 15 ans d'emprisonnement.
Marseille, 1943, bataillon de police sécurisant l'acheminement de Juifs vers les camps
Lorsque la guerre éclate, des « bataillons de police » composés de fonctionnaires et de réservistes de la police sont créés. 125 bataillons de cinq à six cents hommes sont chargés de maintenir l’ordre dans les pays occupés. Ils forment 25 à 30 % des effectifs totaux de l’Ordnungspolizei. En Europe centrale et orientale, ils participent activement au massacre des Juifs et d’autres catégories de population, et notamment à l’extermination de tout un village tchèque, Lidice. De source judiciaire, 520 000 morts au moins leur sont imputables ; le nombre réel de leurs victimes est probablement plus proche du million.
En outre, à partir de 1941, l’Ordnungspolizei a été investie d’une nouvelle mission : la surveillance des trains de déportés en route vers les camps d’extermination. Une mission qu’elle a assurée en toute connaissance de cause. 
  • Une histoire qui s'est faite lentement...
Pendant une bonne quarantaine d’années, de nombreux Allemands sont restés persuadés qu’entre 1933 et 1945, la police remplissait avant tout ses missions habituelles. Ce qu’elle a effectivement fait, mais elle était aussi l’un des bras armés du régime nazi, comme le montrent sans ambiguïté les travaux récents.
Dans les années 1990, les Allemands accélèrent le travail de mémoire sur ce sombre chapitre de l’histoire de la police allemande, le poursuivant assidûment à l’échelle locale et régionale. En 2008, les ministres de l’intérieur des Länder et du gouvernement fédéral décident de lancer le projet « La police de l’État nazi », pour faire la synthèse de tous ces travaux. Il se compose de trois volets : l' exposition à l’intention du grand public, présentée au Musée historique de Berlin du 1er au 31 juillet, intitulée "Ordre et Extermination" ; la production de matériels éducatifs sur le thème « La police dans l’Allemagne nazie », et enfin l’élaboration d’un module de présentation destiné aux expositions permanentes des écoles de la police régionale et de la police fédérale. Le projet est placé sous l’autorité de l’Académie allemande de police de Münster, l’exposition est organisée en coopération avec le Musée historique de Berlin.

Pour en savoir plus, voir les extraits de l'émission consacrée à la police allemande, ARTE, (Allemagne, 2010, 52mn) RBB/ARTE
Réalisateur: Frank Gutermuth, Holger Hillesheim, Sebastian Kuhn, Wolfgang Schoen

Sources
http://www.arte.tv/fr/731350,CmC=3782002.html
Christopher R. BROWNING, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, traduit de l'anglais par Elie Barnavi, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire, 1994, 284 p.
Reinhard Rürup, Topographie de la terreur : Gestapo, SS et Office central de sécurité du Reich sur le "terrain Prinz-Albrecht", Documentation, Berlin, Verlag Willmuth Arenhövel, 2002.

mardi 17 mai 2011

Libération vécue, libération rêvée (1)

Libération, affiche de Phili (Philippe Grach), fin août 1944

Libération (affiche de Phili)

La Libération est une période, un temps de transition entre le  régime de Vichy et la libération totale du territoire de l'occupation étrangère. Soit, une période qui s'étend de la fin août 1944 - libération de Paris - à la fin du printemps 1945 : capitulation de l'Allemagne (8 mai 1945), libération des dernières poches de résistance allemande sur le territoire français (Lorient, St Nazaire, Dunkerque, 8/9 mai 1945).

La Libération est aussi un temps fort de la construction d'une mémoire nationale. Pour les Français qui ont vécu sous l'occupation allemande et sous la tutelle d'un régime collaborateur, il faut désormais penser la sortie de guerre. 

Cette affiche, éditée par le secrétariat à l'information du GPRF (Gouvernement Provisoire de la République française ) à la fin août 1944 propose une vision de la Libération : la Libération comme renaissance, comme redressement. 
Marianne - l'allégorie de la République -, drapée dans les couleurs nationales, soulève la dalle du tombeau dans lequel elle était enfermée depuis quatre ans, et libère ainsi le peuple opprimé. Ses bras, comme ceux des individus libérés (dont certains portent encore des chaînes brisées à leurs poignets ), dessinent le V de la Victoire. Le soleil inonde la scène. L'accent est ainsi mis sur le rôle de la France dans sa libération - et non sur celui des Alliés -, et donc sur l'espoir qu'a représenté la perspective de la Libération ( la référence au seul combat mené par la Français pour la libération de leur territoire  s'explique, en août 1944, par  l'incertitude qui entoure les projets des Alliés. Les américains n'ont alors pas encore abandonné l'idée d'une occupation militaire du territoire français - AMGOT- après sa libération). L'affiche porte ainsi témoignage du combat résistant - sous-entendu - et de la souffrance qui a été celle de la communauté nationale (corps décharnés). 
Libération, Paul Colin, 17 août 1944

" La Marianne aux stigmates" (Paul Colin)

L'affiche de Phili propose un message bien différent de celui véhiculé par une affiche légèrement antérieure, celle de Paul Colin, datée du 17 août 1944.  A la mi-août 1944, Paris n'est pas encore libéré et, si la résistance intérieure a témoigné de son engagement, sa capacité à jouer un rôle majeur dans la libération du territoire n'est pas encore démontrée.   
L'allégorie de la République proposée par Paul Colin porte les symboles de la République : bonnet phrygien, couleurs nationales. 
Mais elle occupe seule l'espace de l'affiche, semble porter un suaire ( la France en ruines), porte aux mains les stigmates de la crucifixion. 
Elle est certes debout, mais en souffrance, et le regard tourné vers les libérateurs qui viennent de l'extérieur ( deux débarquements ont alors eu lieu : Overlord en Normandie, le 6 juin 1944 ; Dragoon en Provence, à partir du 15 août 1944).
Les auteurs : 
Philippe Grach est graphiste sous Vichy (principal graphiste de la propagande familiale sous Vichy). Il signe d'abord de son nom, Grach, puis de plus en plus souvent, Phili. A la Libération, il continue à exercer son office pour le compte du GPRF.
Paul Colin, affichiste et décorateur célèbre ( il est l'auteur d'une affiche pour la Revue nègre en 1925 qui contribua à lancer Joséphine Baker), a refusé de mettre son talent au service du régime de Vichy. En 1944, il peint la "Marianne aux stigmates", affiche datée du 17 août 1944.