Jorge Semprun est mort le 7 juin 2011 à Paris. Il avait fait de la France son pays d'adoption et de la langue française, la langue de ses écrits. En 1996, il avait été admis à l'Académie Goncourt.
Le général Franco, 1936 |
- Fuir le franquisme : La France, patrie d'adoption...
Jorge Semprun est né le 10 décembre 1923 à Madrid dans une famille bourgeoise : son père est avocat et professeur de droit. Catholique pratiquant, il est néanmoins partisan de la jeune république espagnole portée au pouvoir en 1931, et du gouvernement de Front populaire créé en 1936 en Espagne. En 1937, pendant la guerre d'Espagne, la famille de Jorge Semprun s'exile en France. A Paris, il suit sa scolarité ( au lycée Henri IV). Il a 16 ans en avril 1939 lorsque le général Franco annonce la fin de la guerre civile espagnole, dont il sort vainqueur. En septembre 1939, la France déclare la guerre à l'Allemagne hitlérienne, donc au pays qui a armé les combattants franquistes. Jorge Semprun ne peut que partager la cause française.
Mais, côté français, l'entrée en guerre contre l'Allemagne est une entrée en guerre à reculons : pas de combats déclenchés sur le front occidental, une "drôle de guerre" derrière la ligne Maginot, et, par contre, une lutte ouverte déclenchée contre l'ennemi de l'intérieur : le communiste. Le Parti communiste ( conséquence de la signature du pacte germano-soviétique en août 1939) est dissous.
Buchenwald |
- Lutter contre le franquisme après-guerre
Jorge Semprun rentre à Paris en 1945, après le "grand voyage" (c'est le titre du premier livre de Jorge Semprun, publié en 1963) qu'est la déportation. Jusqu'en 1952, il sera traducteur auprès de l'Unesco. Il reste un militant. Le franquisme est sorti intact de la guerre et continue à imposer sa marque à l' Espagne. C'est au sein du parti communiste qu'il continue la lutte contre cette dictature : à partir de 1953, il coordonne les activités clandestines de résistance au régime de Franco au nom du Comité Central du Parti communiste espagnol en exil puis il entre au Comité Central et au bureau politique. De 1957 à 1962, il anime le travail clandestin du parti communiste dans l'Espagne de Franco sous le pseudonyme de Frederico Sanchez.
L'année 1963 marque un tournant majeur dans son itinéraire. D'abord parce qu'il reçoit le prix Formentor pour "Le grand voyage", premier texte qui narre le voyage du déporté vers l'univers concentrationnaire, et qui le fait connaître du grand public. Ensuite, parce que ses prises de position lui valent d'être exclu du Parti (en 1964). On est alors en pleine guerre froide, et le Parti communiste ne supporte aucune divergence.
- "L'écriture ou la vie"...
La rupture avec le Parti communiste marque un véritable tournant. Désormais, Jorge Semprun se consacre à son travail d'écrivain et de scénariste. La plupart de ses oeuvres sont écrites en français et ses qualités d'écrivain lui vaudront la reconnaissance de ses pairs ( prix littéraires de renom, français comme étrangers, mais aussi élection à l'Académie Goncourt en 1996). Son parcours militant, son renom comme écrivain, lui valent aussi d'être appelé à occuper le ministère de la Culture (entre 1988 et 1991) dans une Espagne enfin libérée du franquisme (la mort de Franco en novembre 1975 permet le rétablissement d'un état de droit en Espagne) et gouvernée par les socialistes ( gouvernement Felipe Gonzalez).
L'expérience concentrationnaire est au coeur de son oeuvre littéraire. En 1994, l'écriture ou la vie lui est ainsi consacré, ainsi qu'à l'expérience du retour.
"Quant à moi, je me souviens vraiment du 8 mai 1945. Ce n’est pas une simple date pour manuels scolaires. Je me souviens du ciel radieux, de la blondeur des filles, de la ferveur des multitudes. Je me souviens de l’angoisse des familles en grappes affligées à l’entrée de l’hôtel Lutétia, attendant des proches non encore revenus des camps. Je me souviens d’une femme aux cheveux grisonnants, au visage encore lisse et juvénile, qui était montée dans le métro à la station Raspail. Je me souviens qu’un remous des voyageurs l’avait poussée près de moi. Je me souviens qu’elle a soudain remarqué ma tenue, mes cheveux ras, qu’elle a cherché mon regard. Je me souviens que sa bouche s’est mise à trembler, que ses yeux se sont remplis de larmes. Je me souviens que nous sommes restés longtemps face à face, sans dire un mot, proches l’un de l’autre d’une inimaginable proximité. Je me souviens que je me souviendrai toute ma vie de ce visage de femme. Je me souviendrai de sa beauté, de sa compassion, de sa douleur, de la proximité de son âme."
( L'écriture ou la vie)
Jorge Semprun à Buchenwald en 1995 |
Rencontre avec Jorge Semprun, à l'occasion de la parution de L'Écriture ou la vie (1994) : ( interview sur le site de Gallimard)
L'Écriture ou la vie... Ce « ou » est-il exclusif ?
Jorge Semprun — Quand je suis rentré de Buchenwald, à la fin d'avril 1945, j'avais un peu plus de vingt ans. Depuis l'âge de sept ans, j'avais décidé d'être écrivain. Dès mon retour, j'ai donc voulu écrire sur l'expérience que je venais de vivre. Quelques mois plus tard, après avoir écrit, réécrit et détruit des centaines de pages, je me suis rendu compte qu'à la différence d'autres expériences, notamment celles de Robert Antelme et surtout de Primo Levi, qui se sont dégagés de l'horreur de la mémoire par l'écriture, il m'arrivait précisément l'inverse. Rester dans cette mémoire, c'était à coup sûr ne pas aboutir à écrire un livre, et peut-être aboutir au suicide. J'ai donc décidé d'abandonner l'écriture pour choisir la vie, d'où ce titre. Et ce « ou ».
Comment est-il possible de choisir la vie en renonçant précisément à ce qui fait sa vie ?
Jorge Semprun — C'était un choix terrible pour continuer à exister, j'ai dû cesser d'être ce que je voulais être le plus. Et j'ai tenu pendant dix-sept ans. J'ai pratiqué une sorte de thérapie systématique, parfois brutale, de l'oubli. Et j'y suis parvenu au point d'entendre des anciens déportés parler des camps sans avoir conscience que moi aussi j'étais des leurs. J'écoutais leurs récits comme des témoignages extérieurs. En même temps, les plus petites choses pouvaient faire rejaillir les souvenirs.
Qu'est-ce qui a déclenché le retour à l'écriture ?
Jorge Semprun — Lorsque j'étais dirigeant du Parti communiste espagnol, il m'est arrivé, en 1961, de me retrouver bloqué dans un appartement clandestin de Madrid, dont je n'ai pu sortir pendant toute une semaine en raison des menaces policières. Tous ces jours-là, j'ai passé mon temps à écouter les récits du maître de maison. Il avait été interné à Mauthausen, mais ignorait que j'avais été moi-même déporté. Plus je l'écoutais, plus je trouvais qu'il racontait très mal, qu'il était impossible de comprendre de quoi il parlait. Et tout à coup, au terme de cette semaine, la mémoire m'est revenue et j'ai écrit, très vite, Le Grand Voyage. Dès qu'il a été publié, mon rapport au passé et à la mémoire a basculé. Il est redevenu douloureux et terrifiant. Je suis sorti de l'oubli pour entrer dans l'angoisse.
Et la genèse de L'Écriture ou la vie ?
Jorge Semprun — Beaucoup plus tard, en 1987. J'écrivaisNetchaïev est de retour et, un samedi d'avril, je racontais une scène où l'un des personnages du roman se rendait à Buchenwald pour tenter de retrouver un compagnon de résistance déporté. Tout cela devait tenir en deux pages. Ce jour-là, l'écriture a dérapé complètement. Je me suis retrouvé en train d'écrire, à la première personne, un autre livre : c'étaient les premières pages de L'Écriture ou la vie. L'inconscient, ou je ne sais quoi, m'avait joué un curieux tour : ce samedi 11 avril était l'anniversaire de la libération de Buchenwald, et la première nouvelle entendue le lendemain fut l'annonce du suicide de Primo Levi... Dans ces conditions, il me fallait évidemment mener ce livre à son terme. Cela m'a pris très longtemps.
Êtes-vous ainsi parvenu au bout de la mémoire ?
Jorge Semprun — À partir du moment où s'accomplit le premier travail de mémorisation, tout revient peu à peu. Mais je me suis aperçu que j'avais tellement oublié que certains souvenirs, que je sais présents, restent à retrouver. Je peux aller encore plus loin.
- Bibliographie et filmographie
1963 Le grand voyage Gallimard, roman, prix Formentor
1967 L'évanouissement Gallimard, roman
1969 La deuxième mort de Ramon MercaderGallimard, roman, prix Fémina
1986 La montagne blanche Gallimard, roman
1994 L'écriture ou la vie Gallimard, récit, prix Fémina Vacaresco
1998 Adieu, vive clarté... blanche Gallimard
1998 Le retour de Carola Neher Le Manteau d’Arlequin, Gallimard
2002 Le mort qu'il faut Gallimard
2004 Vingt ans et un jour Gallimard, Collection Du monde entier, traduction de l'espagnol par Serge Mestre
Autobiographie de Federico Sanchez, réédité en Points-Seuil en 1996
1980 Quel beau dimanche! Grasset
1991 L'Algarabie Fayard, réédité chez Gallimard Folio en 1997
1991 Netchaïev est de retour Lattès
1993 Federico Sanchez vous salue bien Grasset
1995 Mal et modernité Climats
2002 Les sandales Mercure de France
2003 Veinte anos y un dia Tusquets, Barcelone
1967 L'évanouissement Gallimard, roman
1969 La deuxième mort de Ramon MercaderGallimard, roman, prix Fémina
1986 La montagne blanche Gallimard, roman
1994 L'écriture ou la vie Gallimard, récit, prix Fémina Vacaresco
1998 Adieu, vive clarté... blanche Gallimard
1998 Le retour de Carola Neher Le Manteau d’Arlequin, Gallimard
2002 Le mort qu'il faut Gallimard
2004 Vingt ans et un jour Gallimard, Collection Du monde entier, traduction de l'espagnol par Serge Mestre
Autobiographie de Federico Sanchez, réédité en Points-Seuil en 1996
1980 Quel beau dimanche! Grasset
1991 L'Algarabie Fayard, réédité chez Gallimard Folio en 1997
1991 Netchaïev est de retour Lattès
1993 Federico Sanchez vous salue bien Grasset
1995 Mal et modernité Climats
2002 Les sandales Mercure de France
2003 Veinte anos y un dia Tusquets, Barcelone
Filmographie :
La guerre est finie, d'Alain Resnais, scénario, 1966
Z, de Costa Gavras, scénario, 1969
Stavisky, d'Alain Resnais, scénario, 1974
L'Aveu, de Costa Gavras, d'après A. London, scénario et dialogues de J. Semprun et C. Gavras, 1970
Section Spéciale de C. Gavras, scénario et dialogues de J. Semprun et C. Gavras, 1975
Une femme à sa fenêtre de P. Granier-Deferre, scénario et dialogues de J. Semprun, 1976
Les routes du sud de Joseph Losey, scénario et dialogues de J. Semprun, 1978
Z, de Costa Gavras, scénario, 1969
Stavisky, d'Alain Resnais, scénario, 1974
L'Aveu, de Costa Gavras, d'après A. London, scénario et dialogues de J. Semprun et C. Gavras, 1970
Section Spéciale de C. Gavras, scénario et dialogues de J. Semprun et C. Gavras, 1975
Une femme à sa fenêtre de P. Granier-Deferre, scénario et dialogues de J. Semprun, 1976
Les routes du sud de Joseph Losey, scénario et dialogues de J. Semprun, 1978
Sources :
http://www.academie-goncourt.fr/?membre=1016697318
http://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01029405.htm
http://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01029405.htm
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