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lundi 2 mai 2011

Le traité de Versailles, regards franco-allemands

Le 28 juin 1919 est signé dans la galerie des glaces de Versailles le traité qui doit mettre un point final aux hostilités entre les nations alliées et l'Allemagne.

Côté allemand, le traité - qui n'a pu être l'objet de négociations, l'Allemagne, vaincue, n'ayant pas été invitée à la Conférence de la Paix -, est un diktat. Une dictée dont les vainqueurs ont imposé le texte aux vaincus, une partition imposée donc, qui impose à l'Allemagne des conditions inadmissibles : pertes territoriales (perte de ses colonies, de l'Alsace Lorraine, démembrement qui détache la Prusse orientale du reste du territoire...), démilitarisation, réparations... Parce que l'Allemagne est posée comme seule responsable du conflit, elle doit en payer le prix, donc "réparer" : la commission des réparations fixera à 132 milliards de marks-or le montant des sommes à verser par l'Allemagne. 
La caricature de Hans Lindoff - publiée alors que le montant des réparations n'est pas encore connu, les Alliés, et particulièrement la France, bénéficiant alors de réparations "en nature" : la propriété des mines de charbon de la Sarre est ainsi transférée à la France au titre des dommages de guerre - traduit le sentiment de mépris des vainqueurs à l'égard d'un vaincu démuni, auquel on demande un dépouillement total, jusqu'au dénuement, et à l'humiliation... De manière significative, le vainqueur n'est pas montré, juste suggéré par sa main, qui pointe - imperturbablement - les vêtements dont l'Allemagne doit se départir. Le vainqueur est par ailleurs faussement poli ("Ton pantalon, s'il te plaît") mais parfaitement stupide (comment vider les poches d'un pantalon que l'on ne porte plus?). 
Si le regard porté sur la France et ses exigences n'est pas tendre, il faut noter que la représentation de l'Allemagne - soumise - ne l'est pas non plus. En 1920, de nombreux Allemands souscrivent à la thèse selon laquelle l'armée allemande n'a pas démérité. La responsabilité de la défaite incombe au pouvoir civil, qui a, lâchement, accepté les conditions des vainqueurs.
(Le traité de Versailles a été soumis à la délégation allemande, menée par le président socialiste de la toute jeune République allemande, Ebert. De même, c'est Ebert qui, en novembre 1918, alors que le régime impérial allemand venait de s'éffondrer, a donné l'ordre à la délégation allemande de signer l'armistice de Rethondes).


Côté français, la légitimité du traité ne se pose pas, non plus que la nécessité de faire "payer" l'Allemagne. Mais les caricaturistes laissent entendre que cela ne sera pas chose aisée, puisque l'Allemagne joue la "Komedie de la Misère". Sur cette caricature parue en mai 1921, Marianne est confrontée à Germania, la France à l'Allemagne. Tout les oppose : la posture - élégance et tenue d'un côté, avachissement, négligence et embonpoint de l'autre - , comme les valeurs : à l'interrogation muette de Marianne - qui traduit la légitimité de son attente - répond la mascarade jouée par Germania, qui, de sa cape noire, entend masquer l'activité productive et la richesse allemande. Son casque à pointe lui-même s'est transformé en chapeau de carnaval... La France campe sur ses positions, elle a le droit pour elle. L'Allemagne incarne la fourberie - la légende de la caricature invite Marianne, et le lecteur...  à la méfiance -, ses paroles ne sont que nuages de fumée.

Michel et Germania sont les deux allégories nationales de l'Allemagne. 
Michel est une figure ancienne qui a singulièrement évolué dans le temps : initialement, Michel représentait la vaillance allemande. Avec le temps ( au 19è siècle), il est devenu un petit bourgeois naïf et méprisable, reconnaissable à son éternel bonnet de nuit. D'où le fait qu'il soit rarement utilisé par les caricaturistes français pour représenter l'Allemagne : comment rendre redoutable un personnage aux allures de nigaud? Le choix de Michel, sous la plume d'un caricaturiste allemand, trahit une vision négative de l'Allemagne. Ici, Michel représente l'Allemagne qui a abdiqué...
Germania s'est par contre imposée comme l'allégorie de l'Allemagne. En Allemagne, l'affirmation d'une figure féminine nommée Germania a accompagné le processus d'émergence de l'identité nationale. Dans la caricature française, elle emprunte avant la guerre de 14 à la mythologie wagnérienne : elle est une Walkyrie, avec un casque ailé, un bouclier, une lance... Pendant la Guerre, cette image se déforme et s'enlaidit, et finit par représenter l'Allemande (l'image de l'Allemande dans l'imaginaire nationaliste français) : une femme aux traits grossiers, au visage austère et joufflu, au fort embonpoint, mal fagotée... en somme, l'inverse de Marianne, au charme enjôleur, à la vive silhouette, et à l'élégance... toute française!
Pour en savoir plus
Christian Delporte, "Méfions nous du sourire de Germania! L'Allemagne dans la caricature française (1919-1939)", Mots, 1996, vol.48, n°48, p.33-54.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1996_num_48_1_2098

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