- Liberté, de tony Gatlif, un film "inspiré"
http://culturebox.france3.fr/all/6814/la-liberte-selon-tony-gatlif#/all/6814/la-liberte-selon-tony-gatlif
L'histoire :
Théodore, vétérinaire et maire d'un village situé en zone occupée pendant la Seconde Guerre mondiale, a recueilli P'tit Claude, 9 ans, dont les parents ont disparu depuis le début de la guerre. MademoiselleLundi, l'institutrice fait la connaissance des Tsiganes qui se sont installés à quelques pas de là. Ils sont venus pour faire les vendanges dans le pays. Humaniste et républicaine convaincue, elle s'arrange, avec l'aide de Théodore, pour que les enfants tsiganes soient scolarisés. De son côté, P'tit Claude se prend d'amitié pour Taloche, grand gamin bohémien de 30 ans qui se promène partout avec son singe sur l'épaule. Mais les contrôles d'identité imposés par le régime de Vichy se multiplient et les Tsiganes,peuple nomade, n'ont plus le droit de circuler librement : Théodore cède alors un de ses terrains aux Bohémiens, désormais sédentarisés. Tandis que les enfants tsiganes suivent les cours de Mademoiselle Lundi, P'tit Claude est de plus en plus fasciné par le mode de vie des Bohémiens - un univers de liberté où les enfants sont rois. Mais la joie et l'insouciance sont de courte durée : la pression de la police de Vichy et de la Gestapo s'intensifie et le danger menace à chaque instant. Comme ils l'ont toujours fait depuis des siècles, les Tsiganes devront reprendre la route...
( présentation du film sur le site Evene)
Le film de Tony Gatlif aborde donc un génocide peu visité par la fiction comme par le cinéma, celui des Tsiganes. Il pose par ailleurs la question du sauvetage : pourquoi et comment des individus ordinaires ont fait le choix d'aider les persécutés?
- "Liberté, Egalité, Tsigane", une interview de Tony Gatlif
Sans renier ses convictions d’auteur-cinéaste, Tony Gatlif signe avec Liberté son film le plus militant et le plus bouleversant. Aboutissement de 20 ans d’enquêtes et de réflexions, Libertédevrait porter au plus grand nombre son message pour la reconnaissance des Gitans et dévoiler le sort de ce peuple durant l’occupation allemande en France.
Tony Gatlif, cinéaste gitan ou cinéaste des Gitans ?
Tony Gatlif : Je dirais cinéaste gitan des Gitans, parce qu'on ne peut pas faire de films sur eux sans les connaître. On peut tout faire, filmer n’importe quelle histoire, en créant, en inventant, mais si on veut aller au fond de ce qu’on veut raconter, il faut appartenir à quelque chose. C’est normal, c’est comme raconte l’histoire d’une famille.
Votre famille est de quelle origine exactement ?
Mon père était Kabyle et ma mère Gitane, mais quand un non-Gitan épouse une Gitane, c’est lui qui vient à la maison et non le contraire.
Comment est née votre vocation ?
Quand on commence à être cinéaste, à faire de la musique et à évoluer dans le monde du spectacle, on a deux choix. Soit gagner de l’argent, soit défendre des gens, nos gens. Je crois qu’on peut considérer le cinéma comme un art ou comme l'équivalent du travail d'un avocat. C’est ce dernier choix que j’ai fait. Les Gitans du monde entier subissent une injustice incroyable depuis des siècles. C’est impossible de ne pas vouloir en parler dans mes films.
Qu’est-ce qui dans votre parcours vous a fait embrasser cette cause ?
Quand on a 5 ans et qu’on voit son père se faire embarquer à 5 heures du matin dans un camion de gendarmes et se faire frapper, excuse-moi mais je fais un film tout de suite après. C’est de cette injustice dont je parle. Il n’avait rien fait. C’était pendant la guerre d’Algérie et je ne sais pas de quoi il était soupçonné. D’ailleurs, c’était ou ça ou les autres, ceux du FLN (Front de Libération Nationale), qui disaient qu’il fallait tuer les chiens, ne pas boire et se tenir bien. Dans ma famille, ils aimaient bien la vie, alors ça ne les faisait pas arrêter de boire. Ils étaient maltraités des deux côtés. C’est à partir de là que j’ai commencé à ouvrir les yeux sur le monde.
Comment est né le projet Liberté ?
Dès mes débuts, à l’époque des Princes (1982), j’avais ce projet. On savait qu’il y avait eu des centaines de milliers de Roms et de Manouches massacrés par les Nazis et leurs alliés. Comment faire un film sur ce sujet ? C’était dur car il y a peu de mémoire dessus, les gens n’ont pas parlé. Grâce à Matéo Maximoff (écrivain gitan d’origine roumaine, 1917-1999), j’ai rencontré un vieux qui avait été dans un camp. Dès que je lui ai dit que je voulais faire un film là-dessus, son visage s’est refermé, il a bu son thé et n’a plus dit un mot. Dans la culture gitane, on n’évoque pas les morts. Ce sont des fantômes qu’il ne faut pas réveiller. Personne ne voulait parler, il n’y avait pas de documentaires, quasiment pas d’écrits. C’était impossible de faire un film comme Liberté dans les années 70 ou 80. Après, à travers mon parcours, avec les films que j’ai faits, j’ai rencontré des gens. J’ai récolté des témoignages, certains faits. Ce n'est qu'il y a cinq ans que j’ai appris qu'il y avait eu en France quarante camps de concentrations pour les Gitans, les Tsiganes, les Manouches. Avec à l'intérieur de chacun deux à trois mille personnes gardées par des gendarmes et des douaniers français. Je ne dis pas que c’étaient des gens méchants, c’étaient des trouffions. On leur avait dit : « Maintenant la France appartient aux Allemands, vous ne commandez plus rien, alors gardez les Tsiganes ! ». Ce n’était pas le paradis, parfois ça se passait mal, les gendarmes prenaient la nourriture des Gitans pour la donner ailleurs. Bon, il n’y avait pas non plus que des salauds, il y avait des gens biens. Avec tous les témoignages que j’ai fini par récolter, je sentais que le moment était venu de faire Liberté. C'est à dire un film sur la déportation des Manouches de France et de ceux d'Europe de l’Est. Dès 1946, ils ont été mis dans un « trou noir », on a rebouché l’Histoire et plus personne n’a entendu parler d’eux.
En quoi consista l'expérience des camps pour les Gitans ?
En France, on les a gardés dans les camps jusqu’en 1946. En 1945, Paris est libéré, mais les camps de Gitans sont restés en place un an après l'entrée de De Gaulle dans Paris. Pourquoi ? C’est très simple, les Gitans sont les bêtes noires des pays, des mairies. Ils ont été enfermés injustement, dépossédés de tout : voitures, charrettes et animaux. Ils ne voulaient pas les faire sortir d’un coup dans la paysannerie française. C’est inhumain ! On ne leur a même pas donné de draps ou de couvertures, on les laissait dans la crasse. En Roumanie ou en Hongrie, ce sont les habitants eux-mêmes qui les ont massacrés sans que les Nazis ne leur demandent. A un moment, il faut que ça se sache. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire un procès, d’accuser qui que ce soit, mais il est temps que les Français, les Hongrois ou les Roumains reconnaissent avoir emprisonné, jusqu’en 1946, des Gitans qui n’avaient rien fait d’autre que voyager d’un endroit à l’autre, parce qu’ils étaient des travailleurs saisonniers. Cette histoire doit être écrite dans les livres scolaires. Il faut que les enfants apprennent que les Tsiganes ont été persécutés au même titre que les Juifs, les communistes ou les homosexuels. Il n’y a pas de comparaison à faire entre les souffrances.
Liberté est un film sur des Gitans français, qui furent arrêtés à partir de 1940 à cause de la loi de Vichy qui leur interdisait de nomadiser, de bouger. Mais ils avaient des papiers français. Des hongrois de passage se sont aussi retrouvés bloqués en France et enfermés. Ces camps étaient des camps de concentration ; ceux d’extermination se trouvaient en Allemagne, en Pologne ou en Roumanie. Mais ils mourraient aussi en France, du typhus ou de rage de dents, car dans ces conditions on peut mourir de rages de dents. Et les gosses en bas âge mourraient, car leur mère n’avait pas de lait puisqu’on ne leur donnait pas à manger. En Camargue, ils avaient déguisé le camp de Saliers à la manière d'un village à la Walt Disney, avec des petites maisons typiques pour montrer qu’on les traitait bien. Mais à l’intérieur, c’était infesté de vermine ! Les Gitans ne sont pas morts dans les chambres à gaz, mais d’injustice, de laisser-aller, de maladies, d’enfermement. Ce n’est pas excusable, c’est révoltant.
Vous vous êtes inspiré de personnages historiques pour écrire votre scénario?
J’ai travaillé avec beaucoup de personnes, des historiens, une documentaliste qui a été cherché partout dans les archives des camps. Je n’ai pas écrit le scénario comme on écrit un polar, je me suis fondé sur des chiffres, des vérités historiques et aussi des anecdotes. Je ne voulais pas qu’il n’y ait que de la misère et des salauds. Pour moi, un mec qui sauve un gitan rattrape les millions qui ne l’ont pas fait. Et il y en a eu, un docteur par exemple, en Normandie, qui a inscrit des Gitans sur des listes électorales et les a ainsi sauvés de l’enfermement. C’était un Juste, et même si il y en avait peu, ça rassure sur l’humanité. Je me suis aussi inspiré de l’histoire de ce notaire qui a acheté une maison à une famille de Gitans pour les faire sortir des camps. C’est en pensant à ces personnes que j’ai écrit Liberté. Ca me rassure de les voir dans le film, de me dire qu’il y avait des gens comme eux.
Ce film d’une forme plus classique marque-t-il une nouvelle étape ?
C’est une volonté d’enseigner. Je voudrais que les enfants des écoles aussi bien que les Gitans le voient. C’est un film d’auteur populaire, je veux qu’il soit accessible à tout le monde et que les Gitans le reconnaissent comme leur film.
- Le génocide des Tsiganes
La carte ci-dessus montre la répartition de la population tsigane en Europe en 1939. C'est en Europe orientale ( la communauté roumaine est forte de 300 000 tsiganes) que les tsiganes sont les plus présents. En France, la communauté tsigane compte 40 000 individus, victimes dès l'instauration du régime de Vichy de mesures discriminatoires.
Les Nazis considéraient les Tsiganes comme "racialement inférieurs", et le destin de ceux-ci fut, en de nombreux points, parallèle à celui des Juifs. Les Tsiganes subirent l'internement, le travail forcé et beaucoup furent assassinés. Ils étaient aussi soumis à la déportation dans les camps d'extermination. Les Einsatzgruppen (unités mobiles d’extermination) assassinèrent des dizaines de milliers de Tsiganes dans les territoires de l'est occupés par les Allemands. En outre, des milliers d’entre eux furent tués dans les camps d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, de Chelmno, de Belzec, de Sobibor et de Treblinka. Les nazis incarcérèrent aussi des milliers de Tsiganes dans les camps de concentration de Bergen-Belsen, de Sachsenhausen, de Buchenwald, de Dachau, de Mauthausen et de Ravensbrück. Dans les zones de l'Europe occupées par les Allemands, le destin des Tsiganes varia d’un pays à l’autre, selon les circonstances locales. Les Nazis internaient généralement les Tsiganes et les déportaient ensuite en Allemagne ou en Pologne pour les soumettre au travail forcé ou pour les assassiner. Beaucoup de Tsiganes de Pologne, des Pays-Bas, de Hongrie, d'Italie, de Yougoslavie et d'Albanie furent abattus ou déportés dans les camps d'extermination et exterminés. Dans les pays baltes et les zones de l'Union soviétique occupées par les Allemands, les Einsatzgruppen (unités mobiles d'extermination) massacraient les Tsiganes en même temps qu'ils exterminaient les Juifs et les responsables communistes. Des milliers de Tsiganes, hommes, femmes et enfants furent tués au cours de ces opérations. Beaucoup de Tsiganes furent assassinés avec les Juifs à Babi Yar, près de Kiev, par exemple. En France, les autorités avaient pris des mesures restrictives à l’encontre des Tsiganes avant même l'occupation allemande du pays. Le gouvernement de Vichy organisa leur internement dans des camps familiaux. Les Tsiganes français ne furent cependant pas déportés sauf ceux des départements du Nord et du Pas-de-Calais rattachés au Gouvernement militaire de Bruxelles.
Sources :
Cartes : http://memorial-wlc.recette.lbn.fr/article.php?lang=fr&ModuleId=75
http://www.crdp-reims.fr/memoire/enseigner/memoire_deportation/temoins51/lundy.htm
Interview de Tony Gatlif sur le site mondomix : http://tony-gatlif.mondomix.com/fr/itw5623.htm
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