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mardi 17 mai 2011

Discours de Gorbatchev lors de la remise du Prix Nobel de la Paix, juin 1991

Extrait du discours prononcé par Mikhaïl Gorbatchev lorsqu'il reçut le prix Nobel de la paix le 5 juin 1991.

« Un terme a été mis à la « Guerre froide ». Le danger d'une guerre nucléaire mondiale a pratiquement été écarté. Le « rideau de fer » a été levé. L'Allemagne s'est réunifiée, ce qui constitue un tournant dans l'histoire de l'Europe. Il n'y a plus sur le continent un seul pays qui ne se considère comme entièrement souverain et indépendant.
L’URSS et les États-Unis, les deux super-puissances nucléaires, ont parcouru le chemin qui mène de la confrontation à la coopération et même, en certains cas importants, au partenariat exerçant ainsi une influence déterminante sur tout le climat international. (...)
Bien entendu, la progression vers la civilisation du XXIe siècle ne sera ni simple, ni facile. (...)
On distingue déjà bien des obstacles et des périls sur la voie qui conduit à une paix durable :
- la recrudescence du nationalisme, du séparatisme, des processus de désintégration dans différents pays et régions du monde ;
- la différence grandissante de niveau et de qualité du développement socio-économique entre pays « riches » et pays « pauvres » : les conséquences redoutables de la pauvreté de centaines de millions d'êtres humains en un temps où les média permettent de voir le mode de vie des pays développés. D'où la violence et la férocité inouïes, disons le fanatisme, des mouvements massifs de protestation. Cela offre un terrain propice au développement du terrorisme, à l'émergence et au maintien des régimes dictatoriaux dont le comportement, dans les relations interétatiques, est imprévisible (...).
Comment la communauté mondiale peut-elle faire face à toutes ces tâches, qui sont d'une incroyable complexité ? (...)
Connaissance et confiance sont les piliers du nouvel ordre mondial. D'où, selon moi, la nécessité d'apprendre. D'apprendre à pronostiquer les processus dans différentes régions du globe en conjuguant, dans le cadre des Nations unies, les efforts des scientifiques, des philosophes, des spécialistes des sciences humaines. (...)
Optimiste, j'estime qu'ensemble nous pourrons aujourd'hui faire le bon choix, un choix dont l'importance sera à l'échelle de l'histoire mondiale, que nous ne laisserons pas échapper la grande chance qui s'offre au tournant du siècle et du millénaire, et que nous réussirons le difficile passage à un ordre mondial pacifique. Non pas l'équilibre des forces, mais celui des intérêts ; non pas le profit au détriment d'autrui, mais la recherche du compromis et de l'entente ; non pas la volonté de leadership, mais le respect de l'égalité : tels sont les éléments, à la portée d'hommes raisonnables et instruits par l'expérience du XXe siècle, qui pourront accélérer la marche du monde.

Source : Mikhaïl Gorbatchev, Avant-mémoires, O. Jacob, 1993.
 Questions :

1. Qui est l'auteur du texte ?
2. Expliquez le passage souligné.
3. En vous appuyant sur des exemples précis, expliquez les menaces nouvelles qui pèsent sur le monde selon M. Gorbatchev.
4. D'après l'auteur, sur quels principes doit reposer le nouvel ordre mondial ?
5. Sa vision du nouvel ordre mondial s'est-elle révélée exacte ? Justifiez votre réponse à l'aide de quelques exemples.

Les réponses proposées sont des réponses longues, assez complètes. Tous ces éléments ne sont pas forcément attendus. Ce qui est souligné constitue le socle qui autorise une note moyenne. Les autres éléments sont des éléments de "valorisation", qui font monter la note. 

1. La première question ne doit pas être conçue de manière réductrice, c'est-à-dire une simple identification de l'auteur : Mikhaïl Gorbatchev. Il faut évidemment le présenter, et surtout dire ce qui a pu entraîner le fait que le prix Nobel de la Paix lui ait été attribué ( en 1990), donc mettre en évidence son rôle dans la sortie de la Guerre froide.


Mikhaïl Gorbatchev a été le dernier dirigeant de l'URSS : il dirige le pays en tant que secrétaire général du PCUS ( parti communiste de l'URSS) à partir de 1985. A l'origine d'une réforme des institutions en 1988, il est aussi désigné par le Congrès en 1990 président de l'URSS, fonction créée dans le cadre de cette réforme. ( Remarque : ne pas confondre dirigeant soviétique - à la tête de l'URSS - et dirigeant russe - à la tête de la Russie. La distinction est d'autant plus importante qu'à l'époque c'est Boris Eltsine qui est élu président de la Russie, dans le cadre d'élections au suffrage universel).
Mikhaïl Gorbatchev initie une politique nouvelle, fondée sur la glasnot (transparence) et la perestroïka (restructuration), qui vise à sauver le régime soviétique de la faillite. Cette politique autorise une libéralisation du régime (libération de prisonniers, plus grande liberté de presse...) ; elle repose par ailleurs sur une amélioration des relations avec le rival américain. Le traité de Washington de 1987, qui accentue le désarmement, en est un signe fort.
De ce fait, Gorbatchev bénéficie d'une énorme popularité auprès des occidentaux, qui le surnomment "Gorby". Il est l'homme qui met un terme à la Guerre froide, à la menace soviétique, à la tutelle de l'URSS sur l'Europe de l'est. Aussi est-il désigné pour recevoir le prix Nobel de la Paix en 1990. C'est à l'occasion de la cérémonie de réception de ce prix, en juin 1991, qu'il prononce le discours étudié.  

Question 2. Expliquer la phrase soulignée n'impose pas de la recopier! Il est par contre impératif de lever les différentes allusions qu'elle contient. 

Dans ce passage, Gorbatchev évoque les changements majeurs survenus depuis qu'il est au pouvoir, et plus particulièrement depuis 1989. La chute du mur de Berlin en novembre 1989 est l'événement qui symbolise alors la levée du "rideau de fer", c'est-à-dire de cette frontière hermétique qui séparait depuis le début de la Guerre froide - l'expression est utilisée par Churchill dès 1946 - l'Europe de l'ouest et l'Europe de l'est. Derrière le "rideau de fer", se trouvaient des pays qui étaient sous tutelle soviétique : Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, et, évidemment RDA. Or, ces pays ont connu une véritable révolution en 1989, révolution initiée par l'URSS de Gorbatchev en autorisant le pluralisme politique (en juillet 1989, l'URSS abandonne officiellement la doctrine de la souveraineté limitée : chaque pays se voit reconnaître le droit de développer la ligne politique qui lui est propre) . Dès lors, la presse libre se développe, le parti communiste perd le rôle dirigeant, des élections libres se déroulent... Et, à la fin 1989, il n'y a plus sur le continent, comme le signale Gorbatchev,  " un seul pays qui ne se considère comme entièrement souverain et indépendant", autrement dit les démocraties populaires, pays "frères" de l'URSS pendant la Guerre froide, ont pu se dégager de la tutelle du "grand frère". La Pologne par exemple se donne Lech Walesa pour président en 1990, soit le principal artisan de la contestation depuis les années 1980 dans le cadre du syndicat Solidarnosc.  Cette évolution permet la réunification de l'Allemagne : le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl propose dès novembre 1989 un plan autorisant la réunification. Celui-ci est accepté, avec l'accord des grandes puissances : RFA et RDA forment une Allemagne réunifiée en 1990.

3. Les menaces nouvelles qui pèsent sur le monde en sortie de Guerre froide sont multiples.
Il y a en premier lieu la "recrudescence du nationalisme, du séparatisme". Gorbatchev pense sans doute d'abord aux tendances séparatistes qui frappent son pays, l'URSS, et qui émanent des républiques soviétiques. En Asie centrale et dans les républiques caucasiennes, des tensions fortes opposent les populations (azéris et arméniens par exemple) et des républiques caucasiennes (Arménie, Géorgie) proclament leur indépendance (Arménie dès l'été 1990, Géorgie en avril 1991). La même volonté de quitter la fédération soviétique touche les républiques baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), qui avaient été annexées en 1940.  Face à cette logique, la politique de Gorbatchev est d'abord celle de la force (l'armée russe intervient à Vilnius en janvier 1990), puis celle du compromis ( ce qui lui vaut l'opposition des conservateurs qui l'accusent de brader l'URSS). Enfin, la recrudescence du nationalisme est aussi à l'oeuvre en Yougoslavie, où les ex-républiques serbe, croate, bosniaque entament un conflit lié en partie à la volonté de la Croatie d'affirmer son indépendance.
Gorbatchev souligne aussi la "différence grandissante de niveau et de qualité du développement" entre pays "riches" et pays "pauvres". Au début des années 1990, ce constat d'une fracture de plus en plus nette entre Nord et Sud est largement partagé. Le développement - soit l'augmentation du bien-être de toute une population, que mesure l'IDH - indicateur de développement humain - s'est accru, mais les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres (que l'on appelle les PMA, pays les moins avancés) aussi. 1/6ème de la population mondiale souffre toujours de sous-nutrition ou de malnutrition.
Selon Gorbatchev, ces inégalités forment un terreau propice à une "protestation" - soit à la contestation d'un ordre mondial injuste - , qui peut prendre des formes dangereuses pour la paix mondiale : "terrorisme", "émergence et maintien de régimes dictatoriaux". La montée de l'islamisme - incarné par le mouvement Al Qaïda, né en 1987 - peut illustrer ce propos. Le caractère "imprévisible" des régimes dictatoriaux trouve quant à lui une illustration frappante dans l'invasion du Koweït par le régime irakien de Saddam Hussein en août 1990.

4. Le "nouvel ordre mondial", expression utilisée par G.Bush en 1990, définit pour son auteur un ordre régi par le droit et la coopération internationale. Gorbatchev souscrit à cette conception, qu'il décline en mettant en avant trois principes forts : raison, paix et équilibre. Selon lui en effet, "connaissance et confiance" doivent permettre d'anticiper sur les besoins et évolutions : la raison, mais aussi la transparence, doivent donc permettre aux Nations Unies de jouer pleinement leur rôle. Deuxième principe : la paix. Gorbatchev souhaite l'instauration d'un ordre mondial "pacifique", conformément au projet de l'ONU. Bâtir la paix ne peut se concevoir sans le troisième principe, celui de l'équilibre, mais " pas l'équilibre des forces" ( c'est-à-dire celui qui a régi la Guerre froide ). Sa définition de l'équilibre - "pas de profit au détriment d'autrui", "respect de l'égalité" - refuse l'inégalité Nord/Sud comme l'idée d'un leadership assuré par une seule puissance.

5. Cette vision du nouvel ordre mondial, qu'il qualifie lui-même d'"optimiste", ne s'est pas avérée exacte. L'espoir d'une entente entre Etats-Unis et URSS - qui forment le "nous" évoqué dans le dernier paragraphe du texte - a laissé place à la disparition de l'URSS. A l'automne 1991, 8 des 15 républiques soviétiques ont proclamé leur indépendance, et, après la création de la communauté des Etats Indépendants ( CEI, autour de la Russie), Gorbatchev démissionne de la présidence d'une URSS qui a, de fait, cessé d'exister.
Le nouvel ordre mondial est donc d'abord un ordre américain, une "pax americana". Le leadership américain ne connaît plus d'entraves à son affirmation. Par ailleurs, les années 1990 et 2000 sont marquées par de nombreux conflits, dont la violence contredit l'espoir d'harmonie exprimé par Gorbatchev. On peut citer l'exemple du conflit rwandais (1994), au cours duquel un million de tutsis sont exterminés, alors même que les casques bleus sont présents. Enfin, l'écart entre les pays du Nord et les pays du Sud ne s'est pas résorbé et les bilans établis par l'ONU - et particulièrement par le programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) - font à l'inverse état d'un creusement des écarts. Quant à la menace terroriste, les attentats du World Trade Center en septembre 2001 lui ont donné une matérialité telle que la lutte contre le terrorisme a été posé comme priorité absolue du gouvernement américain.

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